Pour
certains écrivains, le confinement n’est pas une torture mais un choix
volontaire !
En
janvier 1844, à l’âge de 23 ans, lors d’une promenade en fiacre, Flaubert est
soudain terrassé par une crise d’épilepsie. Cet épisode coïncidant avec l’achat d’une maison de campagne à Croisset, la famille s’y installe en
juin pour que le jeune homme puisse y effectuer sa convalescence.
Adieu les
études de droit qu’on souhaitait lui voir effectuer ! En réalité, pour Gustave, c’est une aubaine ! La maladie- qui d’ailleurs ne durera pas- est tombée à
propos pour qu’il puisse se consacrer à son activité favorite, écrire ! Et en
dépit de quelques voyages, elle lui servira de prétexte pour tracer désormais
sa ligne de conduite : s’enfermer et créer !
Même
la passion amoureuse ne parvient pas à l’arracher à son isolement. En juillet
1843, il rencontre la sulfureuse Louise Colet, belle poétesse qui sert de
modèle au sculpteur Pradier.
C’est le début d’une ardente passion mais Flaubert
ne cesse de repousser les rendez-vous avec Louise, qu’il trouve trop
envahissante. Leur célèbre correspondance en conserve le témoignage. Louise,
même si elle est mariée à cette époque, ne cesse de solliciter des rendez-vous
et Flaubert multiplie les prétextes, en particulier la nécessité de s’occuper
de sa mère, pour les évincer et se
consacrer à la rédaction de La Tentation de Saint-Antoine. Au début, Louise,
qui n’a pas encore compris le caractère de Gustave, s’inquiète pour sa santé de
« reclus ». Flaubert tente de la rassurer :
Je
n’ai jamais senti ce que c’était que la fatigue intellectuelle, et il fut une
année où j’ai travaillé régulièrement pendant dix mois quinze heures par jour …
Quant à la fatigue physique, l’éducation m’a fait un tempérament de colonel de
cuirassiers. Sans mes nerfs, partie délicate chez moi, qui me rapproche des
gens comme il faut, j’aurais un peu d’affinité avec le fort de la Halle. Sois
donc sans crainte, pauvre chérie ; je n’ai pas besoin d’exercice et je vis bien
quinze jours sans prendre l’air ni sortir de mon cabinet. 14 octobre 1846
Mais
peu à peu, Louise comprend que Flaubert n’a qu’un désir profond : rester seul
pour écrire ! Car ce dernier ne cache pas que cet amour, qu’il trouve trop
passionné, est un obstacle à son travail d’écrivain :
Ce
soir je me suis remis au travail, mais en m’y forçant. Depuis six semaines
environ que je te connais (expression décente), je ne fais rien. Il faut
pourtant sortir de là. Travaillons, et de notre mieux ; puis, nous nous verrons
de temps à autre, quand nous le pourrons ; nous nous donnerons une bonne
bouffée d’air, nous nous repaîtrons de nous-mêmes à nous en faire mourir ; puis
nous retournerons à notre jeûne. 12 septembre 1846
Son
goût de la solitude se double d’une conception très pessimiste des relations
humaines. J’ai connu peu d’êtres dont la société ne m’ait inspiré l’envie
d’habiter le désert, explique-t-il à Maxime du Camp.
Alors,
bien vite, la relation entre Gustave et Louise se dégrade et les lettres ne sont plus qu’un réquisitoire de l'amante alternant avec la défense de l'écrivain. Louise voudrait s’imposer chez son amant,
mais il lui refuse l’entrée de sa maison et lui reproche sa jalousie, devenue
maladive :
Est-il possible que tu me reproches jusqu’à
l’innocente affection que j’ai pour un fauteuil ! 30 septembre 1846
Et il tente de lui expliquer le 30 avril 1847, que l’amour ne peut occuper la première place dans sa vie
:
Pour moi, l’amour n’est pas et ne doit pas être au premier plan de
la vie ; il doit rester dans l’arrière-boutique. Il y a d’autres choses avant
lui, dans l’âme, qui sont, il me semble, plus près de la lumière, plus
rapprochées du soleil. Si donc tu prends l’amour comme mets principal de
l’existence : NON. Comme assaisonnement : OUI.
Peu
à peu, la relation s’effrite jusqu’à se terminer à l’été 1848, Louise se
consolant avec d’autres. Flaubert la
congédie manu militari le 2 août : Merci du souvenir !
Mais
dès le retour du voyage en Orient de Gustave, Louise revient à la charge et la
liaison reprend de juillet 1851 à mars 1855. Cette fois, la poétesse semble
avoir accepté le besoin de claustration de Gustave et la tonalité des lettres a
changé : ce ne sont plus des lettres d’amour mais des missives intellectuelles
dans lesquelles Flaubert va décrire tout le travail de rédaction de son œuvre
la plus célèbre, Madame Bovary.
C’est
en effet 19 septembre 1851 que Flaubert commence la rédaction de ce roman pour lequel il va littéralement s’enfermer cinq ans, au point de mériter
le fameux surnom d’ « ermite de Croisset ».
Je
mène une vie âpre, déserte de toute joie extérieure, et où je n’ai rien pour me
soutenir qu’une espèce de rage permanente, qui pleure quelquefois
d’impuissance, mais qui est continuelle. J’aime mon travail d’un amour
frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre. 24
avril 1852
Même
les relations avec son entourage lui pèsent :
22
juillet 1852 : Mon frère, ma belle-sœur, mon beau-frère [...], j’ai de tout cela
plein le dos. Dieu ! Que je suis gorgé de mes semblables ! [...] Quelle
admirable invention du Diable que les rapports sociaux ! Ou, le 4 septembre de
la même année : Je me suis réservé dans la vie un petit cercle. Mais une fois
qu’on entre dedans, je devins furieux, rouge… Que ne peut-on vivre dans une
tour d’ivoire ?
Gustave
ne vit plus qu’à travers son roman et une petite escapade à Trouville le
convainc encore davantage qu’il n’est
fait que pour rester enfermé dans sa chambre :
Loin
de ma table, je suis stupide. L’encre est mon élément naturel ! Beau liquide,
du reste, que ce liquide sombre ! Et dangereux ! Comme on s’y noie ! Comme il
attire ! explique-t-il à Louise le 14 août 1853.
D’ailleurs,
les affres de la création du livre sont si intenses qu’il compare son
travail à une ascension d’alpiniste :
La
perle est une maladie de l’huître et le style, peut-être, l’écoulement d’une
douleur plus profonde. N’en est-il pas de la vie d’artiste ou plutôt d’une
œuvre d’Art à accomplir comme d’une grande montagne à escalader ? 16 septembre 1853
Toutes
les lettres de cette époque reflètent les souffrances de l’écrivain en train de
créer. Flaubert n’est plus qu’un « homme plume », comme il se qualifie
lui-même, qui ne veut plus sortir de sa tour d’ivoire !
Et
une fois de plus, Louise, qui ne parvient plus à le comprendre, s’éloigne de lui. Jusqu’à ce que le 6 mars 1855, il lui
écrive assez cruellement :
J’ai
appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois
fois, chez moi. Je n’y étais pas. Et dans la crainte des avanies qu’une telle
persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre
m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.
C’est de ce confinement volontaire et de cette
misanthropie délibérément assumée que sont nés plusieurs chefs-d’œuvre de la
littérature française !
Mon autre blog, Gisèle Durero-Köseoglu, écrivaine d’Istanbul
http://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/