mercredi 9 novembre 2022

Hommage à Marcel Proust et Ahmet Hamdi Tanpınar à Notre Dame de Sion, Istanbul

 

Mardi 8 novembre 2022 a eu lieu à Istanbul, au lycée Notre-Dame de Sion, le vernissage de l’exposition « La musique portée par le roman, Regards croisés sur Proust et Tanpınar », qui présente, en miroir, des extraits de textes de Marcel Proust et d’Ahmet Hamdi Tanpınar , ainsi que des collections de photos et de portraits et durera jusqu’au 8 décembre 2022.



Le spectacle-piano de Marie-Christine Barrault et Franck Ciup

Cette manifestation littéraire organisée en hommage à Marcel Proust pour le centenaire de sa mort, a été marquée par un envoûtant « Spectacle piano littéraire », dans lequel Marie-Christine Barrault lisait, avec une superbe interprétation, des extraits choisis de Marcel Proust, en alternance avec des morceaux composés pour l’occasion par le pianiste Franck Ciup, par référence à la fameuse Sonate de Vinteuil, œuvre imaginaire créée par Proust à partir de compositions qu’il aimait. Les fins mélomanes ont pu reconnaître dans les interprétations du pianiste des extraits des Scènes d’enfants de Robert Schumann, de la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel, mais aussi de deux œuvres utilisées en leitmotiv, A Chloris, de Reynaldo Hahn, utilisé six fois, et le  fameux Clair de lune, de Claude Debussy. Le tout était d'une poésie extrême, tellement beau que l'on aurait souhaité que le concert ne finisse pas…



L’exposition  « La musique portée par le roman, Regards croisés sur Proust et Tanpınar »

La curatrice, Aylin Koçiyan, a fait appel à de nombreux spécialistes pour réaliser l’exposition. C’est en ces termes qu’elle définit son travail : « L’objectif de l’exposition « La musique portée par le roman » est d’apporter un regard croisé sur la manière avec laquelle la musique revient comme un leitmotiv dans l’œuvre colossale de Marcel Proust (1871-1922), A la recherche du temps perdu, publiée en sept tomes de 1913 à 1927, et dans le roman-fleuve d’Ahmet Hamdi Tanpınar (1901-1962). Notre travail explore comment la musique émerge comme une expérience intime et existentielle permettant à l’individu d’atteindre l’essence et la profondeur de l’être et des choses, ainsi que comme un langage universel, seule capable de traduire l’indicible, l’ineffable… »



La musique chez Proust et Tanpınar

La Sonate de Vinteuil de Proust

A la Recherche du Temps perdu, permet à Marcel Proust de créer,  à partir de personnages qu’il a connus dans sa vie, des figures d’artistes imaginaires comme le musicien Vinteuil, l’écrivain Bergotte et le peintre Elstir. 



Dans Un Amour de Swann, une « petite phrase » de la Sonate de Vinteuil,  devient  « l’air national » de l’amour entre Charles Swann et Odette de Crécy. Dans un des passages-clés du roman, lorsque Odette s’éloigne de Swann pour lui préférer le comte de Forcheville, lors d’un concert chez la marquise de Saint-Euverte, Swann entend la fameuse sonate dont la « petite phrase » ressuscite toutes les sensations de son passé avec Odette, tous « les refrains oubliés du bonheur », dans un merveilleux texte devenu un des symboles de Proust : 

Mais tout à coup ce fut comme si elle était entrée, et cette apparition lui fut une si déchirante souffrance qu'il dut porter la main à son cœur. C'est que le violon était monté à des notes hautes où il restait comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans qu'il cessât de les tenir, dans l'exaltation où il était d'apercevoir déjà l'objet de son attente qui s'approchait, et avec un effort désespéré pour tâcher de durer jusqu'à son arrivée, de l'accueillir avant d'expirer, de lui maintenir encore un moment de toutes ses dernières forces le chemin ouvert pour qu'il pût passer, comme on soutient une porte qui sans cela retomberait. Et avant que Swann eût eu le temps de comprendre, et de se dire : « C'est la petite phrase de la sonate de Vinteuil, n'écoutons pas ! » tous ses souvenirs du temps où Odette était éprise de lui, et qu'il avait réussi jusqu'à ce jour à maintenir invisibles dans les profondeurs de son être, trompés par ce brusque rayon du temps d'amour qu'ils crurent revenu, s'étaient réveillés et, à tire-d'aile, étaient remontés lui chanter éperdument, sans pitié pour son infortune présente, les refrains oubliés du bonheur.

Le Mahur Beste de Tanpınar

Dans sa trilogie romanesque, Huzur, en 1949, Sahnenin Dışındakiler, en 1973 et Mahur Beste, en 1975, à l’instar de Proust, Ahmet Hamdi Tanpınar  -dont certains livres sont traduits en français par Actes Sud, dont L’Institut de remise à l’heure des montres et des pendules, ou le merveilleux Pluie d’été – utilise le thème récurrent du « Mahur Beste », du compositeur turc du XVIIe siècle, Ebubekir Ağa.


Selon la curatrice Aylin Koçiyan, « Tout au long de l’exposition qui présente des extraits bilingues de Proust et de Tanpınar, la musique et les rapports sociaux qui s’organisent autour d’elle, tels qu’ils sont évoqués plus particulièrement dans Du côté de chez Swann et Le côté de Guermantes, d’une part, et la question identitaire et la musique qui tissent la trame de la trilogie romanesque de Tanpınar (Huzur, 1949 ; Sahnenin Dışındakiler, 1973 ; Mahur Beste, 1975) nous invitent à de nouvelles réflexions sur les relations entre la littérature et l’art et la fonction de la création artistique et littéraire pour figer le moment volatile et alléger l’amertume de la nostalgie 
»

PS : j’ai eu la chance de réaliser, le lendemain du concert, un entretien sur son travail avec le pianiste et compositeur Franck Ciup, vous pourrez bientôt le lire dans le Petit Journal d'Istanbul…

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