mercredi 20 septembre 2017

Marguerite Duras. Ecrire ou la définition de l'écriture

Toutes les phrases de cet article sont de Marguerite Duras. Je les ai recopiées sur son beau livre, Ecrire, paru en 1993 aux Editions Gallimard, en respectant la ponctuation (ou l’absence de ponctuation)  originale.



La solitude de l’écriture, c’est une solitude sans quoi l’écrit ne se produit pas, ou il s’émiette exsangue de chercher quoi écrire encore. Perd son sang, il n’est plus reconnu par l’auteur. Et avant tout il faut que jamais il ne soit dicté à quelque secrétaire, si habile soit-elle, et jamais à ce stade-là donné à lire à un éditeur.


 Il faut toujours une séparation d’avec les autres gens autour de la personne qui écrit des livres. C’est une solitude. C’est la solitude de l’auteur, celle de l’écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c’était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l’on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu’elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l’écrit. Je ne parlais de ça à personne. Dans cette période-là de ma première solitude j’avais déjà découvert que c’était écrire qu’il fallait que je fasse. J’en avais déjà été confirmée par Raymond Queneau. Le seul jugement de Raymond Queneau, cette phrase-là : “ Ne faites rien d’autre que ça, écrivez.”
Ecrire, c’était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l’enchantait. Je l’ai fait. L’écriture ne m’a jamais quittée.


On ne trouve pas la solitude, on la fait. La solitude, elle se fait seule. Je l’ai faite. Parce que j’ai décidé que c’était là que je devais être seule, que je serais seule pour écrire des livres. Ça s’est passé ainsi. J’ai été seule dans cette maison. Je m’y suis enfermée- j’avais peur aussi bien sûr. Et puis je l’ai aimée. Cette maison, elle est devenue celle de l’écriture. Mes livres sortent de cette maison. De cette lumière aussi, du parc. De cette lumière réverbérée de l’étang. Il m’a fallu vingt ans pour écrire ça que je viens de dire là.


Tout écrivait quand j’écrivais dans la maison. L’écriture était partout. Et quand je voyais des amis, parfois, je  les reconnaissais mal. Il y a eu plusieurs années comme ça, difficiles, pour moi, oui, dix ans peut-être, ça a duré. Et quand des amis même très chers venaient me voir, c’était aussi terrible. Ils savaient rien de moi, les amis : ils me voulaient du bien et ils venaient par gentillesse croyant bien faire. Et le plus étrange, c’était que je n’en pensais rien.

Ça va très loin, l’écriture… Jusqu’à en finir avec. C’est quelquefois intenable. Tout prend un sens par rapport à l’écrit, c’est à devenir fou. Les gens qu’on connaît on ne les connaît plus et ceux qu’on ne  connaît pas on croit les avoir attendus. C’était sans doute simplement que j’étais déjà, un peu plus que les autres gens, fatiguée de vivre. C’était un état de douleur sans souffrance.



C’est curieux, un écrivain. C’est une contradiction et aussi un non-sens. Ecrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. C’est reposant,, un écrivain, souvent, ça écoute beaucoup. Ça ne parle pas beaucoup car c’est impossible de parler à quelqu’un d’un livre qu’on a écrit et surtout d’un livre qu’on est en train d’écrire. C’est à l’opposé du cinéma, à l’opposé du théâtre, et autres spectacles. C’est à l’opposé de toutes les lectures. C’est le plus difficile de tout. C’est le pire. Parce qu’un livre, c’est l’inconnu, c’est la nuit, c’est clos, c’est ça. C’est le livre qui avance, qui grandit, qui avance dans les directions qu’on croyait avoir explorées, qui avance vers sa propre destinée et celle de son auteur, alors anéanti par sa publication : sa séparation d’avec lui, le livre rêvé, comme l’enfant dernier-né, toujours le plus aimé.


 Il y a une folie de l’écriture qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mas ce n’est pas pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire.


L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. 


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