Toutes les phrases de cet article sont de Marguerite
Duras. Je les ai recopiées sur son beau livre, Ecrire, paru en 1993 aux
Editions Gallimard, en respectant la ponctuation (ou l’absence de ponctuation) originale.
La solitude de l’écriture, c’est une solitude sans quoi
l’écrit ne se produit pas, ou il s’émiette exsangue de chercher quoi écrire
encore. Perd son sang, il n’est plus reconnu par l’auteur. Et avant tout il
faut que jamais il ne soit dicté à quelque secrétaire, si habile soit-elle, et
jamais à ce stade-là donné à lire à un éditeur.
Il faut toujours une séparation d’avec les autres gens
autour de la personne qui écrit des livres. C’est une solitude. C’est la
solitude de l’auteur, celle de l’écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce
que c’était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l’on
fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les
lumières, qu’elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette
solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l’écrit. Je ne parlais
de ça à personne. Dans cette période-là de ma première solitude j’avais déjà
découvert que c’était écrire qu’il fallait que je fasse. J’en avais déjà été
confirmée par Raymond Queneau. Le seul jugement de Raymond Queneau, cette
phrase-là : “ Ne faites rien d’autre que ça, écrivez.”
Ecrire, c’était ça la seule chose qui peuplait ma vie et
qui l’enchantait. Je l’ai fait. L’écriture ne m’a jamais quittée.
On ne trouve pas la solitude, on la fait. La solitude,
elle se fait seule. Je l’ai faite. Parce que j’ai décidé que c’était là que je
devais être seule, que je serais seule pour écrire des livres. Ça s’est passé
ainsi. J’ai été seule dans cette maison. Je m’y suis enfermée- j’avais peur
aussi bien sûr. Et puis je l’ai aimée. Cette maison, elle est devenue celle de
l’écriture. Mes livres sortent de cette maison. De cette lumière aussi, du
parc. De cette lumière réverbérée de l’étang. Il m’a fallu vingt ans pour
écrire ça que je viens de dire là.
Tout écrivait quand j’écrivais dans la maison. L’écriture
était partout. Et quand je voyais des amis, parfois, je les reconnaissais mal. Il y a eu plusieurs
années comme ça, difficiles, pour moi, oui, dix ans peut-être, ça a duré. Et quand
des amis même très chers venaient me voir, c’était aussi terrible. Ils savaient
rien de moi, les amis : ils me voulaient du bien et ils venaient par
gentillesse croyant bien faire. Et le plus étrange, c’était que je n’en pensais
rien.
Ça va très loin, l’écriture… Jusqu’à en finir avec. C’est
quelquefois intenable. Tout prend un sens par rapport à l’écrit, c’est à
devenir fou. Les gens qu’on connaît on ne les connaît plus et ceux qu’on
ne connaît pas on croit les avoir
attendus. C’était sans doute simplement que j’étais déjà, un peu plus que les
autres gens, fatiguée de vivre. C’était un état de douleur sans souffrance.
C’est curieux, un écrivain. C’est une contradiction et
aussi un non-sens. Ecrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler
sans bruit. C’est reposant,, un écrivain, souvent, ça écoute beaucoup. Ça ne
parle pas beaucoup car c’est impossible de parler à quelqu’un d’un livre qu’on
a écrit et surtout d’un livre qu’on est en train d’écrire. C’est à l’opposé du
cinéma, à l’opposé du théâtre, et autres spectacles. C’est à l’opposé de toutes
les lectures. C’est le plus difficile de tout. C’est le pire. Parce qu’un
livre, c’est l’inconnu, c’est la nuit, c’est clos, c’est ça. C’est le livre qui
avance, qui grandit, qui avance dans les directions qu’on croyait avoir
explorées, qui avance vers sa propre destinée et celle de son auteur, alors
anéanti par sa publication : sa séparation d’avec lui, le livre rêvé, comme
l’enfant dernier-né, toujours le plus aimé.
Il y a une folie de l’écriture qui est en soi-même, une
folie d’écrire furieuse mas ce n’est pas pour cela qu’on est dans la folie. Au
contraire.
L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre,
c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de
plus, sauf elle, la vie.
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