Article de Gisèle Durero-Koseoglu
Venant de relire le beau livre de Yann Andréa, Cet Amour-là, consacré à la mémoire de Marguerite Duras, je ne peux m’empêcher d’en recopier certains passages… Car ce livre est une des plus belles déclarations d’amour de la littérature française. Rappelons au passage que Yann Andrea fut, durant seize ans et jusqu’à la mort de Marguerite Duras, son dernier compagnon, et qu’il avait 38 ans de moins qu’elle…
Venant de relire le beau livre de Yann Andréa, Cet Amour-là, consacré à la mémoire de Marguerite Duras, je ne peux m’empêcher d’en recopier certains passages… Car ce livre est une des plus belles déclarations d’amour de la littérature française. Rappelons au passage que Yann Andrea fut, durant seize ans et jusqu’à la mort de Marguerite Duras, son dernier compagnon, et qu’il avait 38 ans de moins qu’elle…
C’est l’année de ses vingt ans que Yann Andréa découvre
un des livres de Marguerite :
J’ai lu le premier livre d’elle à Caen, cette ville où je
suis étudiant en philosophie, la khâgne du lycée Malherbe. C’était Les Petits
chevaux (…) La première rencontre, c’est donc Les Petits chevaux de Tarquinia,
la première lecture, la première passion. Et ensuite, j’ai tout quitté, tous
les autres livres, Kant, Hegel, Spinoza, Stendhal, Marcuse et les autres. J’ai
commencé à tout lire, tous les livres d’elle, le titres, les histoires, tous
les mots. (…) Et depuis lors, je ne l’ai plus quittée. C’était fait, Je suis un
lecteur absolu : j’ai immédiatement aimé chaque mot écrit. Chaque phrase.
Chaque livre. Je lisais, je relisais, je recopiais des phrases entières sur des
feuilles, je voulais être ce nom, recopier ce qui était écrit par elle, me
confondre, être une main qui copie ses mots à elle. Pour moi, Duras devient
l’écriture même. (…) Déjà, je veux la garder pour moi, déjà, je veux la
protéger, déjà, elle est avec moi et elle ne le sait pas encore…
Yann Andréa se rend alors
en 1975 à une projection du film Indian Song, il boit un pot avec elle
et lui demande son adresse. Dès le lendemain, il commence à lui écrire. Cela
durera cinq ans et elle ne lui répond jamais.
Et ça commence. Dès le lendemain, j’écris une lettre et
je ne m’arrête plus. J’écris tout le temps. Des mots assez brefs, plusieurs
fois par jour.
En 1980, elle lui envoie un livre, L’Homme assis dans le
couloir, puis d’autres. Finalement, elle lui écrit : « Je viens de terminer
Aurélia Steiner pour le cinéma, je crois que l’un des textes est pour
vous ». Alors, le 29 juillet 1980, il va la voir à Trouville et elle
accepte de le recevoir.
Je suis ici. Avec elle. Je reste. Je ne vous quitte pas.
Je reste. Je suis enfermé avec vous dans cet appartement suspendu au-dessus de
la mer. (…) En septembre 80, les chroniques hebdomadaires pour Libération sont
publiées aux Editions de Minuit. Le livre s’appelle L’Eté 80. Il m’est dédié.
Désormais, je porte le nom de Yann Andréa.
Yann Andréa va se consacrer à l’œuvre de Marguerite en
écrivant sous sa dictée, par exemple le texte de L’Amant :
J’attends les mots, je tape sur cette machine à écrire
que j’aime beaucoup une machine noire, haute, une machine à écrire de la
guerre, m’avez-vous dit. Et nous sommes avec la petite au chapeau d’homme et
aux souliers de pute, en lamé, vous, accoudée au bastingage, et dans quelques
secondes, il va vous proposer une cigarette (….) On peut réciter le texte par
cœur, on connait l’histoire et cependant, non, on la découvre tandis que vous me dictez les mots de
l’histoire. On est émerveillé. On dit oui, encore, on applaudirait presque,
comme au théâtre (…)
La relation se perpétue, oscillant entre bonheur et
douleur :
Elle me tient enfermé dans la chambre noire. Ne supporte
pas que quelqu’un d’autre puisse me regarder. Elle veut être la préférée. La
seule. A tous. A tout le monde. Et moi de la même façon, je suis le préféré. On
se plaît. On se plaît infiniment. On se plaît absolument. On se plaît pour
toujours, de toujours à toujours et pour toujours. On le sait. On ne le dit
pas. Surtout ne pas le dire. Ecrire simplement. Faire des livres, écrire des
histoires, des histoires d’amour. (…)
Je dis ceci : dans l’émerveillement de la rencontre,
pendant le désormais fameux été 80, il y a la voix. Sa voix. Sa façon de dire
entièrement les mots, la façon d’aller chercher le mot, de trouver le mot
juste, le mot vrai, de laisser le mot arriver jusqu’à la bouche en passant par
le silence de la pensée(…)
Je suis transporté dans cette histoire du jour au
lendemain, comme si elle avait toujours commencé, comme si l’histoire, je l’avais
prise en route, elle m’embarque dans son histoire, ses histoires, et quelle
histoire, on ne sait pas, moi je ne sais rien, j’essaie de suivre, je ne
comprends que très peu ce qui arrive, je sais simplement que je suis là, avec
elle, depuis avant toujours et jusqu’à toujours. Je n’y peux rien. Elle n’y peut rien. On
n’est en rien responsable, elle et moi, on est comme deux enfants posés dans le
monde.
Après la mort de Marguerite, Yann écrit :
Et cependant, comment le croire, comment croire que c’est
possible, que vous n’êtes plus là à me regarder, ce n’est pas possible, ce
n’est pas la vérité puisque c’est moi qui vous écris désormais, à vous, donc
rien ne change, donc vous êtes là, avec moi, dans la même séparation.
J’entends ceci,
vous riez et on rit ensemble, together, oui, on se marre de cette
blague, vous morte, moi vous écrivant, moi qui écris. On aura tout vu, ça alors !
Et on rit encore.
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