samedi 9 janvier 2016

Préciosité. Les tergiversations de la Précieuse Julie d'Angennes : 14 ans pour dire "oui" !

Les Précieuses s’y connaissaient dans l’art de se faire désirer par leurs amoureux ! Pour séduire sa belle, comme l’indique la Carte de Tendre,  représentant de façon allégorique les étapes de l’amour selon la Préciosité, il fallait passer par les villages de « Joli-Vers… Billet-Galant… Billets-Doux… » Gare aux impatients faisant preuve de précipitation pour parvenir aux « derniers engagements » ! C’était la noyade garantie dans le « Lac d’Indifférence » !


Gravure attribuée à François Chauveau et représentant la carte du pays de l’amour, « Tendre », imaginé par la romancière Mademoiselle de Scudéry, dite « Sappho » (1607-1701), dans le plus long roman de la littérature française, Clélie, histoire romaine, entre 1654 et 1660.

Un des exemples les plus célèbres de l’histoire de la galanterie précieuse fut l’entreprise de séduction menée par le Duc de Montausier pour séduire Julie d’Angennes.
Qui était donc la belle Julie ?
La fille  aînée de Catherine de Vivonne, Marquise de Rambouillet, célèbre salonnière, et du Marquis de Rambouillet.

                                             Catherine de Vivonne 

Catherine « l’Incomparable Arthénice » et sa fille Julie, « Princesse Julie », animent un salon où se rencontrent tous les gens à la mode de l’époque : Voiture, Benserade, Chapelain, Vaugelas, Segrais, Richelieu, Rotrou, Scudéry, Corneille, Condé, Madame de Lafayette, Mademoiselle de Scudéry, Madame de Sévigné… Ce n’est que lorsqu’on fréquente la « Chambre bleue », où Catherine de Vivonne, telle une déesse, trône sur son lit d’apparat et qu’on a passé des heures assis dans sa « ruelle » (le tour de son lit) » que l’on peut se targuer de mériter l’étiquette de « Précieux » ou de « Précieuse » !



Elevée dans l’atmosphère des Salons, fleuron des réunions de sa mère, Julie s’y connaissait donc en matière de subtilités amoureuses ! On la disait belle, spirituelle, cultivée. Ses soupirants ne se comptaient pas. Le roi de Suède Gustave-Adolphe, aurait, sans jamais l’avoir vue, entretenu avec elle une correspondance passionnée ;  le poète Voiture était si épris d’elle qu’un jour, il ne put se retenir de lui embrasser le bras, ce qui déclencha la fureur de la belle…
                                                              Vincent Voiture




Qui eut donc les faveurs de cette femme savante peu pressée de se marier ? Le duc Charles de Montausier !
Selon le critique Jules Tellier, le Grand Siècle a vu en Charles le modèle le plus accompli de « l'honnête homme ».  Mais il faut préciser que Charles de Montausier était un monsieur de mœurs si sévères qu’on l’avait surnommé « fagot d’orties » !  C’était donc là où le bât blessait : Charles n’était pas très amusant !
La seule fantaisie de sa vie fut donc de tomber follement amoureux, en 1631, d’une femme qui « n’était pas son genre » !

On comprend l’hésitation de Julie. Elle, si coquette, si mondaine, la reine des Salons, se marier à un « bonnet de nuit » ? On a murmuré à l’époque que Charles et Julie avaient servi de modèle à Molière pour l’Alceste et la Célimène de son Misanthrope…


Pour décider Julie à l’épouser, Charles va lui offrir un merveilleux cadeau :
Le plus extraordinaire livre de l’époque, un recueil de soixante-deux poèmes sur des fleurs dont chacune représente une des qualités de Julie. Il compose en personne seize madrigaux mais fait appel aux amis de Julie pour écrire les autres et charge Nicolas Robert, célèbre peintre spécialiste des dessins de botanique, de réaliser les illustrations. 






Un matin de 1641, le jour de la Sainte-Julie, (soit dix ans quand même après les premiers battements de son cœur…) il enferme le précieux manuscrit, à la reliure de maroquin rouge ornée des initiales « J » et « C » enlacées, dans un sac de soie et le fait porter à son égérie pour son réveil.



Le madrigal de la tulipe :


Permettez-moi, belle Julie,
De mêler mes vives couleurs
À celles de ces rares fleurs
Dont votre tête est embellie :
Je porte le nom glorieux
Qu’on doit donner à vos beaux yeux



Bon, l’effet en fut-il admirable ? Il ne fallut plus que quatre ans à Julie pour se décider à l’épouser ! 
Ils se marient enfin en 1645, elle a 38 ans et lui 35. 
A force d’atermoiements…










Sources : Présentation d’Olivier Barrot, La Guirlande de Julie, 1 livre 1 jour, 1991 Lien vers la vidéo
La Guirlande de Julie, préface de Irène Frain, Ed. Laffont et Bibliothèque nationale