samedi 6 février 2016

Maylis de Kerangal. « Réparer les vivants », un roman coup de poing dans le cœur...

A l’origine, ce n’est pas l’avalanche de prix remportée par le roman Réparer les vivants qui m’a poussée à le lire. Oserais-je même dire que cette pléthore de récompenses avait éveillé en moi une certaine prévention, la vilaine petite voix qui chuchote : « commercial »…

Avouons aussi que le sujet ne m’inspirait pas. Rien ne me préparait a priori à me laisser sombrer dans les abysses du « roman d’une transplantation cardiaque », comme le définit la quatrième de couverture.




Quoique… A bien y réfléchir, n’avais-je pas fait mes délices, à l’adolescence, de la série  Les Hommes en blanc, d’André Soubiran, que j’avais dénichée dans la bibliothèque familiale ? Finalement, c’est ce souvenir de mes quatorze ans qui m’a incitée à laisser tomber le roman Réparer les vivants au fond de mon caddie (car oui, mea culpa, je l’ai acheté dans un supermarché et non dans une librairie, une fois n’est pas coutume…)

Et ensuite, « Dieu garde ! » comme disait ma grand-mère !

Car  l’émerveillement suscité par le style de l’auteur lors de la description du surf sur les vagues glacées de l’océan, cède vite la place au plaisir masochiste d’une descente en enfer !
Non, je ne voulais pas affronter la douleur de la mort cérébrale de Simon, celle de ses parents, l’attente angoissée de celle dont le cœur va sauver la vie ! Plusieurs fois, indignée par la souffrance que nous force à ingurgiter la romancière, je me suis interdit de continuer à tourner les pages du roman –mais est-ce vraiment un roman ?- je me suis même dit que j’allais « foutre le livre à la poubelle ». Néanmoins, j’en ai poursuivi la lecture, comme le papillon revenant obstinément sur l’ampoule qui lui brûle les ailes.

La raison ? Ce livre qui flirte avec l’Hadès est fascinant ! Il s’agit bien d’un chef d’œuvre, écrit avec tant de pénétration psychologique qu’il vous hante des semaines durant. Vais-je en conseiller la lecture ? J’émettrai une réserve : « âmes sensibles s’abstenir » !



                                       Maylis de Kerangal photographiée dans L'Express

Il y a deux jours, je suivais vaguement les actualités sur une chaîne de télévision turque, lorsque la speakerine annonça joyeusement une nouvelle : une petite fille au seuil de la mort allait être sauvée car on venait enfin, in extremis de lui trouver un cœur compatible ! On montrait l’ambulance transportant la valise contenant le cœur arrivant dans la cour de l’hôpital et on interrogeait ensuite les parents de la fillette, souriants et exprimant leur foi en l’avenir. Pas un mot sur le « cœur compatible » ! Cette nouvelle, qui en temps normal n’aurait pas, outre mesure, éveillé mon attention – des centaines de gens disparaissant chaque jour dans les guerres ou noyés en Méditerranée, ce qui a, hélas, horriblement  banalisé la mort - m’a fait battre le cœur ! C’est le cas de dire ! Car la question « Où ont-ils trouvé le cœur ? » s’est imposée à mon imagination après la lecture du roman de Maylis de Kerangal.

Je n’en dirai pas plus. Sur le plan littéraire, le sujet est nouveau, le style de l’auteur, jouant avec des métaphores inédites, vraiment original. Sur le plan humain, il s’agissait sans doute d’un roman nécessaire.