vendredi 1 juillet 2016

Hans Fallada. Seul dans Berlin (1946) ou l’héroïsme d’un quidam face à la barbarie

Article de Gisèle Durero-Koseoglu
Je ne connaissais pas encore ce roman que Primo Lévi avait pourtant désigné comme « le plus beau livre sur la résistance au Nazisme ». Mais  je dois dire que sa lecture fut une expérience de choc.



En 1933, l’écrivain allemand Hans Fallada, qui a emprunté son pseudonyme à un personnage des Frères Grimm et a déjà atteint la notoriété, après  une incarcération de quelques jours due à des propos contre le pouvoir, décide de se faire oublier en se consacrant aux ouvrages de distraction. Mais cela ne l’empêche pas d’écrire en 1946, Le Buveur, roman autobiographique et surtout Seul dans Berlin, avant de mourir subitement d’une crise cardiaque l’année suivante.



Personnellement, vu la maîtrise dans la construction du récit, la finesse de l’analyse psychologique et le compte-rendu des faits politiques,  j’ai  bien du mal à croire qu’un tel chef-d’œuvre de 760 pages en édition Folio ait pu être « écrit en 24 jours en 1946 » comme l’indiquent certains sites Internet. Mon sentiment est que l’auteur l’a plutôt élaboré en secret pendant toute la période de la guerre, en s’inspirant de l’atmosphère délétère du quotidien, pour procéder à une dernière mise en forme en 24 jours en 1946. Mais il est vrai aussi que le sentiment d’urgence pousse parfois le talent au-delà des limites du possible…

Car Hans Fallada y décrit avec un hyperréalisme douloureux les procédés employés par la dictature pour asseoir son pouvoir : terreur exercée par les affiliés au régime sur leurs voisins qu’ils espionnent, tortures, procès iniques, exécutions sommaires. Ce que le héros du roman Otto Quangel, vieil ouvrier fatigué par le labeur, résume en une phrase : « Vous savez très bien que…  le criminel est libre mais que l’homme convenable est condamné à mort ».

Le sujet : l’ouvrier Otto Quangel, dont le fils a perdu la vie au front décide, en 1941, d’entrer en résistance en déposant clandestinement dans  les halls d’immeubles des cartes postales dénonçant la politique d’Hitler. Sa femme, Anna, le cœur brisé par la perte de son fils, le soutient et l’aide dans son action.  Les policiers du régime vont déployer tous les moyens pour démasquer le coupable ; car c’est leur propre  survie qui est en jeu s’ils ne réussissent pas leur mission. En effet, dans une infernale chaîne, chaque maillon de la hiérarchie persécute son subordonné et se fait lui-même anéantir par son supérieur.




Au début, personne ne pourrait soupçonner qu’Otto Quangel, contremaître bourru et taciturne soit le trouble-fête recherché par toutes les polices de Berlin. Mais après l’arrestation du couple Quangel, tous ceux et celles qui les ont approchés sont impitoyablement conduits à la mort. Dans un avertissement au lecteur, Hans Fallada explique qu’il s’inspire de faits réels  et que ça ne lui a pas plu «  de dresser un tableau si sombre »  mais que « plus de lumière aurait signifié mentir ».

La lecture de ce roman fait mal car on se demande à chaque page comment les hommes peuvent perdre leur esprit critique au point de s’avilir dans de telles compromissions ou cruautés pour conserver un privilège, fût-il minime. La dignité et l’honnêteté d’Otto Quangel, a priori «  homme ordinaire »  sont telles qu’elles finissent par susciter le doute voire l’admiration chez certains de ses bourreaux.

Un roman terrible, d’une portée universelle car il effectue la vivisection d’un cauchemar politique ; il dévoile les rouages, la férocité et la face cachée de la dictature qui ne se contente pas d’éliminer ses opposants mais finit par anéantir ses propres partisans.

Un roman aussi sur le courage de tous ces « héros anonymes », qui, au fil de l’Histoire, ont tenté, dans les ténèbres, de sauvegarder  l’humanisme.



Vous pouvez aussi lire mon blog : Gisèle, écrivaine d'Istanbul
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