mercredi 31 août 2022

31 août, anniversaire de ta mort, Charles Baudelaire : hantes-tu ta tombe ou ton cénotaphe ?

Cher Charles, c'est aujourd'hui, 31 août 2022, le 155ème anniversaire de ta mort, toi qui n’aimais rien tant que les caveaux, les cimetières et les fantômes ! C'est pourquoi je parlerai de ta tombe !
Tu fus inhumé en 1867 au cimetière du Montparnasse dans la tombe familiale où reposent ta mère (1793-1871) et le général Aupick (1789-1857).



Lecteurs, savez-vous que ce général Aupick de sinistre mémoire, aux dires de Charles, fut ambassadeur à Istanbul en 1848 ?
Aie, pauvre Charles, être couché pour l’éternité aux côtés de celui que tu détestas !


                                                     Photo Internet, merci aux auteurs

Charles, en 1902, pour honorer ta mémoire, tes admirateurs décident de t’élever à Montparnasse un cénotaphe, qui sera réalisé par l’artiste José de Charmony.
Il représente un gisant ressemblant à une momie égyptienne, surmonté d’un bas-relief te montrant en train de méditer.


                                                          Photo Internet, merci aux auteurs

La sculpture fut le fruit d'une souscription publique, lancée le 1er août 1892, par Léon Deschamps dans La Plume et dirigée par un comité présidé par Leconte de Lisle ; dans lequel figuraient alors de nombreux artistes et écrivains, tes fans, dont José Maria de Heredia, Mallarmé, François Coppée, Jean Moréas, Verlaine, Sully Prudhomme, Emile Verhaeren et des romanciers comme Anatole France, Emile Zola, et Edmond de Goncourt.



                                                           Photo Internet, merci aux auteurs

Charles, est-ce bien dans une crise de spleen que tu écrivis ces vers décrivant ton cerveau, ou te réjouissais-tu à l’avance de la tête que nous allions faire en les lisant ? Farceur, va !
 
C'est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers...





lundi 15 août 2022

L'histoire méconnue du Café Pierre Loti, à Istanbul

         Article paru dans le mensuel Aujourd'hui la Turquie 207, juin 2022

         ALT 207 de juin 2022


L'histoire méconnue du Café Pierre Loti, Gisèle Durero-Koseoglu

Aller boire un pot au Café Pierre Loti en contemplant le panorama sur la Corne d’Or fait partie des musts d’Istanbul, surtout au printemps, où les touristes nostalgiques cherchent à retrouver les souvenirs de l’écrivain dans la petite demeure de bois patiné, entourée de terrasses et communiquant avec une deuxième maison envahie de glycines… Mais contrairement à ce que l’on a souvent entendu dire, l’actuel Café Pierre Loti n’est pas un lieu où Loti a habité, c’était déjà, à son époque, un café où il avait l’habitude de se rendre pour fumer le narguilé au coucher du soleil.


En effet, en ce qui concerne les habitations de Pierre Loti, on peut rappeler que l’écrivain a séjourné sept fois à Istanbul et qu’une géographie différente est attachée à chacune de ses venues. 

Dans le roman Aziyadé, fruit de son premier voyage à partir de 1876, Loti affirme qu’il a loué, sous le nom d’Arif Effendi, une maison de bois à Hasköy, puis à Eyüp, et qu’il y  voit « à droite, la Corne d’Or, sillonnée par des milliers de caïques dorés », ce qui a conduit certains à identifier sa demeure à la bâtisse de l’actuel café. Or, lors de son second voyage, dix ans plus tard, Loti constate que sa maison d’Hasköy a été détruite ; et en ce qui concerne celle d’Eyüp, personne n’a pu en déterminer l’emplacement exact, en dépit des tentatives de reconstitution menées par les spécialistes à partir des itinéraires de Loti et de ses descriptions de l’environnement.  Il faut dire que le vrai littéraire est parfois très éloigné de la réalité… On connaît aussi à Divan Yolu une « maison de Pierre Loti », celle qu’il a louée lors de son sixième passage, en 1910, mais on ignore la localisation de celle qu’il a occupée lors de son séjour de 1913, à Fatih, non loin de la mosquée du Sultan Selim, même si l’écrivain Süleyman Nazif y est allé lui rendre visite. Quant au café qui porte son nom, il semble que l’écrivain l’ait surtout fréquenté en 1894, et surtout de 1903 à 1906, où il y passe de longues heures sur les brouillons de son roman Les Désenchantées.

UNE HISTOIRE ROMANESQUE

En réalité, l’histoire du mythique Café Pierre Loti est aussi romanesque que les écrits du célèbre auteur turcophile !

Au XVIIIe siècle, surnommé « le café de la dame », il aurait d’abord été tenu par une femme du nom de « Rabia », puis, à partir de 1880, aurait eu comme propriétaire le gardien du quartier, Ragip Aga ; après, différents propriétaires l’ont tenu jusqu’aux années 1950, où des mésententes entre les gérants le font péricliter et presque abandonner.


Le café en 1910


Le café en 1934

C’est alors qu’intervient une femme hors du commun, Sabiha Tansuğ, passionnée par le passé, qui sera ensuite connue pour son extraordinaire collection de costumes féminins et de coiffes ottomanes, dont elle fera un musée, et dont m’a parlé Ferhat Bey, qui gère le café depuis trente-six ans. 


Sabiha Tansuğ raconte en 1995, dans une interview accordée au journal Cumhuriyet, comment elle a ressuscité le café Pierre Loti ! En voyage à Vienne en 1963, elle ne cesse de s’extasier sur les fameux cafés traditionnels qui ont constitué, depuis le XIXe siècle, un des attraits de la ville autrichienne. Et sous le charme de la découverte, elle souhaiterait en créer un semblable à Istanbul. Mais comment ? Le destin va vite lui apporter la réponse à sa question, car un jour de 1964, elle gravit, à travers le vieux cimetière ottoman, le chemin qui monte au Café Pierre Loti et découvre l’endroit presque en ruines. Aussitôt, sa décision est prise ! 



Le café en 1952  par Roger Viollet 

Elle loue le bâtiment et va consacrer toute son énergie à la reconstruction du lieu. Elle embauche deux menuisiers spécialistes de la restauration des demeures anciennes, fait refaire les entourages de fenêtres et les moucharabiehs, les plafonds, les vitres colorées. Puis, elle se procure du mobilier d’époque au Grand Bazar, fait disposer un divan, aménage un réchaud à l’ancienne pour préparer le café de façon traditionnelle sur les braises. Enfin,  elle se lance dans la collecte de livres, photographies et souvenirs de l’écrivain pour décorer les pièces. Elle fait même confectionner un buste de Pierre Loti qui sera volé par la suite. Les garçons et serveuses en costume, l’exceptionnel panorama, le café servi dans des tasses raffinées, tout contribue au succès du lieu qui devient alors un des incontournables du tourisme stambouliote ! A cette époque, certains surnomment même le café, « Musée Pierre Loti ». On y tourne des films, des gens célèbres s’y rendent. Le café changera encore de direction, mais en dépit des années, il a conservé intact son charme ; pour l’apprécier, mieux vaut s’y rendre en semaine, en montant le chemin romantique tracé entre les anciennes tombes aux cippes ouvragées, derrière la mosquée d’Eyüp, car la construction du téléphérique permettant d’y accéder facilement le transforme, le week-end, en bruyante kermesse…




Mais au fait, pourquoi les Turcs ont-ils éprouvé le besoin d’immortaliser en ce lieu le nom de l’écrivain français ? En réalité, la reconnaissance qui lui est manifestée n’est pas due à ses écrits littéraires mais plutôt à son engagement aux côtés de la Turquie lors des jours sombres de l’histoire du pays. En effet,  en janvier 1913, suite aux deux guerres balkaniques, Pierre Loti fait paraître La Turquie agonisante, qui dénonce la coalition des Européens contre l’Empire ottoman.  C’est donc pour le remercier de sa fidélité que le sultan et le grand vizir le reçoivent en visite officielle, du 15 août au 17 septembre 1913. Loti est acclamé par la foule. Les habitants de Kandilli, village du « yali » des Ostrorog, où loge le grand romancier, organisent en son honneur une fête culminant dans une promenade nocturne en caïque, avec une escorte de centaines de bateaux. Par la suite, après la Première Guerre mondiale, Loti est le seul à faire de la partition de l’Empire ottoman un des principaux sujets de son œuvre, avec les livres Les Alliés qu’il nous faudrait (1919) et La Mort de notre chère France en Orient (1920).




Le fait qu’il se soit dressé « seul contre tous », quitte, parfois, à devenir la risée de ses compatriotes, ou même de détracteurs en Turquie, a suscité la gratitude d’une partie des Turcs. L’engagement de Loti a donc, en partie, fait oublier le romancier, pour privilégier le politique. En 1920, des admirateurs organisent en son honneur une conférence à l’Université d’Istanbul, on le nomme « citoyen d’honneur » de la ville et on pose sur la façade de sa maison de Divan Yolu,  une inscription gravée dans le marbre : « Pierre Loti, de l’Académie française, le noble et fidèle ami des Turcs dans leurs jours de prospérité ou de malheur, a habité cette maison en 1910 ».



C’est pourquoi, en 1921, bien qu’il n’apprécie pas beaucoup Loti comme écrivain, Atatürk lui écrit une lettre de remerciements, lui fait offrir un tapis et l’invite à venir comme « ami des Turcs ». Mais Loti, très malade, ne reverra plus jamais la  Turquie. Le 23 janvier 1922, le préfet de Constantinople inaugure, à Sultanahmet, la rue « Piyer Loti » et la colline du café portera désormais le nom du célèbre écrivain. Un journal français rapporte, des années plus tard, ce commentaire de Loti peu avant sa mort : « Le Café Pierre Loti, c’est mon plus beau titre de gloire, avec la plaque que l’on a posée, en ville, sur la maison que j’ai habitée… »