mercredi 24 mars 2021

Orhan Pamuk : Les Nuits de la Peste. Veba Geceleri

L’évènement littéraire de ce début de printemps 2021 en Turquie est la sortie du roman d’Orhan Pamuk, Veba Geceleri, soit, Les Nuits de la Peste (pas encore traduit en français).

Le célèbre écrivain a publié ces derniers jours une série de vidéos dans lesquelles il présente sa nouvelle œuvre à ses lecteurs. C’est pourquoi j’ai écrit cette petite synthèse de ses commentaires pour ceux et celles qui ne parlent pas le turc…

Un roman sur une épidémie de peste

L'histoire se passe en 1901 dans l’île ottomane imaginaire de Minger, dont la population est moitié musulmane, moitié chrétienne, lors d’une épidémie de peste appelée « la troisième pandémie ».  Orhan Pamuk a voulu relier des événements historiques réels à des héros nés de son imagination. A partir de la deuxième moitié du roman, dit-il, le roman prend des allures de conte… Orhan Pamuk définit sa nouvelle œuvre comme un roman d’amour, un roman policier et un roman historique. Il pense qu’à ce titre, elle offre un dernier panorama de l’Empire ottoman.

Des héros imaginaires

Tous les héros du roman sont imaginaires et le romancier crée trois couples emblématiques de son histoire :

-Le préfet de l’île de Minger, Salih Pacha et sa maîtresse, Marika.

-Le jeune officier Kamil, natif de l’île, qui est tombé amoureux de Zeynep et souhaite l’épouser.

-La sultane Pakize, troisième fille du sultan Murat V enfermé au palais de Ciragan ; elle est mariée avec le spécialiste des quarantaines, le docteur Nuri, que le sultan Abdülhamit II, qui est aussi un des héros du roman (réel, celui-là), envoie sur l’île de Minger pour combattre la peste.

Orhan Pamuk explique qu’au-delà des faits de l’épidémie, son souci était de traduire le monde sentimental et spirituel des héros face à la pandémie. Car la force de l’amour va parfois se trouver en butte à la peur de la mort qui risque de se montrer plus puissante...

Les conditions d’écriture du roman : une pandémie survient alors qu’il était en train de décrire une pandémie !

« Ce que j’ai écrit dans mon roman était devenu vrai… »

Ce roman, auquel il pensait depuis quarante ans, lui a demandé cinq ans de travail. Il explique que lorsqu’il a commencé le livre, tout le monde lui demandait pourquoi il avait choisi ce sujet puisque les épidémies appartenaient au passé ; il répondait que l’on pouvait trouver des similitudes avec le monde moderne dans  la coercition exercée par les pachas pour imposer la quarantaine. 

Puis, l’apparition de la pandémie de Covid-19 l’a bouleversé ! Il travaillait depuis plus de trois ans sur un sujet qui lui était propre et soudain, le sujet lui échappait et devenait celui de tout le monde ! Il s’est alors vite rendu compte que la pandémie de Covid-19 renvoyait aux mêmes angoisses que celles qu’il décrivait dans son roman, comme les doutes sur l’origine de la maladie, la peur de la mort, le confinement forcé, le couvre-feu, les hôpitaux et les cimetières débordés… et il a donc retravaillé son roman en fonction de cette nouvelle expérience…

Ce que la pandémie de Coronavirus a apporté à son roman

Tout le monde lui a posé la question :

-Est-ce que l’épidémie de Coronavirus t’a appris quelque chose ?

-Oui, a-t-il répondu, la peur, la peur de la mort !

« J’avais compris cette peur en lisant les livres mais je ne l’avais pas vraiment imaginée. Car on n’apprend pas la peur de mourir pendant une épidémie dans les livres… A cause de cela, j’ai terminé le roman dans l’émotion et l’urgence », explique-t-il.



 Une immense recherche documentaire

Le grand écrivain qualifie la multitude de recherches qu’il a dû effectuer par la métaphore de « creuser un puits avec une aiguille ». Il a consulté des livres d’histoire, de science, des brochures, des journaux de cette époque. Il explique qu’il a acquis des connaissances « encyclopédiques » sur les efforts de modernisation de l’Empire ottoman dans ses institutions, en parlant de sujets peu connus, la pharmacie, le fonctionnement des anciens hôpitaux, postes, prisons, forteresses. Il y analyse aussi les relations entre deux frères qui ont chacun été sultan,  Murat V et Abdulhamid II, qui, au début, s’entendent bien mais ensuite deviennent ennemis, l’un tenté par la modernisation, l’autre par le conservatisme.

Orhan Pamuk a aussi consulté d’anciennes photos et cartes postales. Rappelant que dans sa jeunesse, il voulait devenir peintre, il a réalisé de multiples dessins, celui de la couverture et d’autres, qu’il utilise dans ses vidéos.

Que peut-on observer de semblable ou de différent dans les pandémies ?

Au final, quelle que soit l’époque et le lieu, les réactions des populations face à l’épidémie sont semblables. D’abord, les états n’acceptent pas et nient, et pendant ce temps, l’épidémie s’est répandue ; ensuite, arrivent les rumeurs, les commérages, les accusations, les soupçons des complotistes ; les états se replient sur eux-mêmes et favorisent la nationalisme ; puis, les commerçants se dressent contre le confinement qui ruine leurs affaires et des émeutes éclatent, si bien que le pouvoir devient de plus en plus autoritaire et répressif. Mais bien sûr, la grande différence est qu’une personne sur trois mourait de la peste, les médecins ne tentaient que de soulager les douleurs alors que la plupart des gens qui attrapent le Covid 19 guérissent. Cependant, la peur est le point commun. C’est parce que les gens ont peur qu’ils obéissent aux ordres de confinement. D’ailleurs, Orhan Pamuk plaisante en déconseillant aux lecteurs de lire son livre la nuit, car, d’un certain côté, c’est un roman d’épouvante !

Le livre renferme-t-il des allusions politiques ?

Citation résumée : « Je  n’ai pas hésité à faire des renvois à la politique d’aujourd’hui mais le  but d’un roman sur lequel vous avez réfléchi pendant 40 ans ne peut pas être de critiquer le gouvernement du moment ! » commente-t-il. Certes, il est possible que, sur la colère contre le pouvoir à cause du couvre-feu, le nationalisme, la laïcité, l’islam politique, la liberté d’expression, les minorités, on puisse trouver des ressemblances avec la situation d’aujourd’hui mais ce n’est pas le but du roman... »

 

*

On attend avec impatience la traduction en français. Il ne fait aucun doute que le roman Les Nuits de la Peste, s’annonce comme un chef-d’œuvre et qu’il se rangera dans les grands classiques utilisant l’épidémie comme allégorie, comme La Peste de Camus, Le Hussard sur le toit, de Giono ou Némésis, de Philipp Roth…

 

Cet article a été publié aussi le 28 avril 2021 dans Le petit Journal de Turquie https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/decouvrez-les-nuits-de-la-peste-le-nouveau-roman-dorhan-pamuk-303986: