lundi 27 novembre 2017

Kazuo Ishiguro. Les Vestiges du jour ou vivre dans des vestiges

Les Vestiges du jour, publié en 1989, est le roman le plus célèbre du Prix Nobel de littérature 2017, Kazuo Ishiguro.


 Majordome anglais responsable du prestigieux domaine de Darlington Hall, Stevens a voué toute sa vie à servir  « Sa Seigneurie », dans un scrupuleux respect de la hiérarchie et une totale abnégation digne d’un saint. Convaincu d’avoir vu défiler au château « tout ce que l’Angleterre a de meilleur », ambitionnant de passer à la postérité comme un « grand majordome »,  hanté par la « dignité de la place qu’il occupe », il n’a de cesse de perfectionner son professionnalisme.

Mais le rachat de la somptueuse propriété par un Américain qui lui offre une semaine de vacances va bouleverser toutes ses certitudes.



Au volant d’une voiture prêtée par son employeur, il prend donc la direction du  West Country, où vit une ancienne gouvernante du domaine, Miss Kenton, sous le prétexte de lui proposer de retravailler au château. Et c’est l’occasion, au fil de la route et des visites, de se remémorer tout son passé et de se livrer à une sorte de confession.

Le roman offre la particularité d’entrer dans l’univers mental du majordome et d’exposer sa conception aliénante du métier, tout en l’exprimant dans un langage châtié maniant le passé simple, le passé antérieur et l’imparfait du subjonctif. La perfection de l’argenterie, étincelante au point de susciter l’admiration des visiteurs, devient une « affaire d’état » au sens propre ; la propreté méticuleuse des parquets est une question de vie ou de mort ; l’obéissance aveugle aux ordres une question d’honneur, même si le majordome en désapprouve parfois silencieusement le contenu…  Stevens ne  sait plus quoi faire pour  être agréable à ses maîtres : il se documente même pour être capable de leur répondre avec humour sans leur manquer de respect.
  
Au fil des pages, le lecteur se met à souffrir pour Stevens, qui semble « être passé à côté de sa vie », pour se réfugier dans un monde illusoire fondé sur des valeurs obsolètes. Il n’a pas assisté son père sur son lit de mort car, au même instant, une soirée d’importance se déroulait au château ; à la demande de son patron,  il a accepté de renvoyer deux femmes de chambre à la conduite exemplaire parce qu’elles étaient juives ; il a omis  de se rendre compte que Miss Kenton était amoureuse de lui lorsqu’il l’entendait sangloter derrière la porte de sa chambre…

C’est alors que Stevens réalise qu’il s’est oublié lui-même, n’a vécu que pour les autres et se retrouve à l’âge mûr « sans rien », sans femme, sans enfants, sans domicile…  Son sens de l’honneur, la fierté d’avoir tenu son rang, toutes les certitudes qui le dirigeaient comme un pantin s’avèrent soudain anachroniques ! Et le  sentiment qui domine est désormais celui du gâchis … 

Un beau roman nostalgique qui parle avec pudeur de l’aveuglement sur soi-même, du sentiment diffus de l’échec et de la tristesse résignée  du regret…




vendredi 3 novembre 2017

Joël Dicker. La vérité sur l’affaire Harry Quebert ou l’art des chausse-trappes

Comme toujours, par le fait que je réside à l’étranger, il se passe toujours un certain temps - un temps certain - entre la sortie d’un livre et le moment où je peux le lire. C’est comme cela que, le temps passant,  je n’avais pas encore eu l’occasion de découvrir le livre « que tout le monde avait lu » et dont on avait tant parlé, La vérité sur l’affaire Harry Quebert, ( 2002, Editions De Fallois) de Joël Dicker,  jeune auteur suisse hyper doué, qui reçut, en 2012, le Prix Goncourt des Lycéens et le Grand Prix du roman de l’Académie française.



Ce suspense de 855 pages en format de poche raconte comment l’écrivain américain à succès Marcus Goldmann, en proie au « vertige de la page blanche », menacé de procès par son éditeur s'il ne lui remet pas un nouveau manuscrit dans les délais requis, va retrouver son inspiration en effectuant une enquête puis en écrivant un plaidoyer pour prouver l’innocence de son ancien professeur, Harry Quebert, auteur célèbre, accusé  du meurtre, commis trente ans auparavant, d’une jeune fille de quinze ans, Nola Kelligan.

S’il est possible de reprocher à ce best-seller son style parfois négligé ou son histoire d’amour baignant dans une multitude de topos (l’amoureux espère le retour de sa belle depuis trente ans, en comparaison, Tristan et Iseut ne sont que de vulgaires amants  ! ) et exprimée dans un langage convenu - dont dire qu’il multiplie les clichés à l’eau de rose ne serait qu’un piteux euphémisme-, il faut cependant reconnaître qu’une fois entré dans le livre, vous ne pouvez plus vous en défaire. Fausses pistes, surprises, renversements de situation, multiples analepses, tous les procédés du suspense sont maniés avec brio, pour le plus grand plaisir du lecteur.

  
   
Divisé en cinq chapitres, « Prologue », « La maladie des écrivains », « La guérison des écrivains », « Le paradis des écrivains », « Epilogue », le roman présente aussi l’originalité d’offrir 31 épigraphes dans lesquels Harry Quebert, maître en littérature de Marcus Goldmann, lui donne des conseils d’écriture que ce dernier s’empresse d’appliquer dans le chapitre concerné. Bref, l’auteur nous livre ses recettes, qui semblent droit sorties d’un atelier d’écriture. Il ne cache pas, non plus, ses modèles littéraires, comme Lolita de Nabokov ou La Tache, de Philip Roth, ce qui est tout à son honneur. Il ne cache pas, non plus, ses modèles littéraires, comme Lolita de Nabokov ou La Tache, de Philip Roth, ce qui est tout à son honneur. Maupassant aurait-il écrit Une Vie s’il n’avait pas lu Madame Bovary de Flaubert, qui lui-même s’inspire de La femme de trente ans de Balzac ? 
La littérature pourrait-elle exister sans intertextualité ?




Une intrigue qui noie le lecteur dans une vague d’émotions contradictoires, du rire aux larmes, et active ses neurones en le forçant à tenter de remettre en place toutes les pièces d’un immense puzzle… Un roman palpitant, sans aucun doute ! Car la réussite, en littérature, n’est-ce pas de passionner le lecteur ? 
Harry Quebert ne dit-il pas à Marcus ? Un bon livre, Marcus, est un livre que l'on regrette d'avoir terminé... 

Pour plus de renseignements, vous pouvez consulter le site de l'auteur :

https://joeldicker.com/about/