samedi 17 septembre 2016

Mathias Enard. Boussole ou la flèche pointée vers l’est

Article de Gisèle Durero-Koseoglu

BOUSSOLE : le titre de ce roman de Mathias Enard qui a remporté le Prix Goncourt 2015 peut sembler a priori énigmatique. Pourtant, on en découvre le sens au fil des pages : la boussole, à l’origine, était  celle de Beethoven, « un compas de poche, rond,  avec un couvercle »   ; le narrateur en possède une copie, qui lui a été offerte par la femme aimée.



La particularité de cette imitation ? Elle « pointe vers l’est et non pas vers le nord » ; il s’agit d’une boussole qui « pointe vers l’Orient ».

Un Orient qui est aussi une métonymie de Sarah, une orientaliste, aimée, perdue, retrouvée, reperdue, celle qui a repoussé Franz Ritter, le narrateur, une nuit à l’hôtel Baron d’Alep  puis a épousé Nedim, un joueur de luth syrien ; qui a passé une nuit avec lui en Iran puis s’est enfuie au matin, rappelée en France par un douloureux télégramme ; celle dont Franz guette les mails en suivant « la boussole de son obsession »…

C’est que ce roman baroque traite de trois grands sujets, la musicologie, l’Orientalisme et la nostalgie amoureuse, à travers le monologue intérieur du narrateur, malade, qui remue ses souvenirs, une nuit d’opium, entre 23h10 et 6 heures du matin.

Musicologue vivant à Vienne, la « porte de l’Orient », Franz Ritter évoque la mémoire de nombreux artistes et écrivains  européens ayant entretenu un rapport réel ou fantasmé avec l’Orient : des musiciens, comme Mozart, Beethoven, Mahler, Schubert, Donizetti, Liszt, Wagner, Bizet, Halevy, Berlioz ; des écrivains, Lamartine, Balzac, Flaubert, Rimbaud, Germain Nouveau, Gobineau, Musil, Pessoa, Nietzsche ; des artistes comme Courbet peignant le tableau « L’Origine du monde » pour l’Ottoman Halil Pacha ; des orientaliste célèbres comme Von Hammer, qui revêt une importance capitale dans le roman, non seulement parce qu’il a fait surmonter la porte de son château d’une inscription en arabe représentant le nom de Dieu mais aussi parce c’est lors d’un colloque situé dans sa maison-musée que le narrateur rencontre celle qui incarne pour lui « l’idéal de la beauté féminine »…

Un roman foisonnant et mélancolique, la marque de Mathias Enard.

N’en déplaise à certains qui déplorent l’avalanche d’érudition évoquant parfois – n’est-ce pas un peu vrai ? Ce roman, qui n’est pas d’une lecture facile, est réservé aux « happy few » - une thèse de Doctorat, en ce qui me concerne, j’adore les livres de Mathias Enard. Cette constatation l’emporte sur tous les arguments, inutile d’épiloguer.



Ce que j’attends d’un livre, c’est qu’il me passionne, que je dévore les pages et que je voie se profiler la dernière avec regret. Pour moi, Boussole a accompli cette mission.

Un étrange népenthès, dont il est souvent question dans le récit…