mardi 26 mai 2020

Crise du Covid-19 : Bien sûr, il fallait mettre au féminin le nom du fléau !


Nos vénérables académiciens ont tranché et nous ont annoncé que le genre du groupe nominal « Covid-19 » devrait être désormais le féminin ! LE Covid-19 mute en LA Covid-19 !

Leur argument : il s’agit d’un acronyme, le genre du mot principal l’emporte et comme on a traduit l’expression de l’anglais « Corinavirus Disease », le mot doit s’accorder avec « maladie » !



Depuis le début de la pandémie, en France, on a utilisé l’expression au masculin : « LE » Covid-19 ! Et alors qu’on considère généralement que l’usage doit primer, voilà qu’on cherche à modifier l’usage !

Ce relent de misogynie de l’Académie française nous étonne-t-il ? Que nenni !

On se souvient que l’Académie a résisté jusqu'en février 2019 à la féminisation des noms de métiers et des fonctions !

Autrefois, et toujours en grammaire ! le masculin « l’emportait ». En 1647, Vaugelas écrivait : « Le genre masculin étant le plus noble doit prédominer chaque fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble. »  Mais cette fois, c’est le féminin qui l’emporte, parce que, bien sûr, un fléau, ça ne peut être que féminin, comme les cyclones longtemps baptisés avec des prénoms de femmes ou les grandes maladies (certes, les Académiciens ne sont pas aujourd'hui responsables de l’étymologie…)  la peste, la lèpre, la variole, la tuberculose !

Rappelons qu’il n’y a eu que 9 femmes depuis 1980 admises à l’Académie -5 siègent actuellement- sur 40 académiciens ! Ceci explique cela !

Eh bien, chers académiciens, moi, je refuse vos discriminations inavouées et je continuerai à écrire « LE Covid-19 » !






samedi 23 mai 2020

Crise du Covid-19 : reprendre « comme avant » pour recréer une société d’enfer ?


« Tout le mal des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas rester en repos dans une chambre »… L’ancienne professeure de philosophie de notre lycée me rappelait récemment, dans une correspondance, cette édifiante citation de Blaise Pascal...

En effet, on n’entend ou ne lit plus sur les réseaux sociaux, les médias, que ce leitmotiv : reprendre vite « comme avant », comme avant la période de confinement… Que signifie cette expression ?



Restaurer un monde où 26 personnes détiennent autant d’argent que plus que 50 % des habitants de la planète ?

Où chaque jour, en 2020, 21000 personnes meurent de la faim et de ses conséquences et où les Nations Unies prévoient « une pandémie de faim » avant 2021 ?
Où rien qu’en France, 7 milliardaires possèdent plus que les 30 % les plus pauvres de la population qui travailleront au moins pendant 42 ans pour les enrichir encore et sans même parvenir à s’acheter un deux-pièces ?
Où, au nom du profit, on met des hordes de gens au chômage pour faire fabriquer à des milliers de kilomètres des objets à coût réduit ?
Où, pour gagner toujours plus, les industries agroalimentaires nous gavent d’aliments ultra-transformés et cancérigènes ?
Où le tourisme de masse pollue irrémédiablement la planète, vide de leurs habitants des lieux devenus cauchemardesques, massacre les animaux sauvages, détruit les sites archéologiques, historiques et naturels ?
Où la pollution de notre terre par les métaux lourds, les plastiques, la radioactivité, les pesticides et j’en passe, est devenue telle que les écologistes prévoient une fatale élévation de la température terrestre puis une pénurie d’eau dans moins de trente ans ?
Où la morale, la conscience, la fraternité, la solidarité, la citoyenneté, l’humanisme, deviennent des mots anachroniques provoquant les ricanements de certains ? Où la notion d’amour entre deux personnes a été supplantée par celle de  « plan cul » ? Où le cynisme a vaincu l’innocence ?




J’arrête là cette liste qui, loin d’être exhaustive, pourrait encore s’allonger des pages et des pages !
Si c’est ça, reprendre comme avant, moi, je ne veux pas et je n’ai envie que de m’exiler au fin fond d’une campagne isolée pour tenter de recréer une société plus humaine !



A l’inverse, et si nous apprenions à méditer sur nous-mêmes, sur nos valeurs, sur ce qui nous rend heureux ou malheureux ?

Pour être heureux, doit-on se fixer comme objectif suprême d’acheter vite le nouvel objet technologique dont le capitalisme effréné a, de toute façon, programmé l’obsolescence ?
Pour être heureux, doit-on se gaver de nourritures contaminées aux pesticides et de produits animaux issus de bêtes élevées dans des conditions que l’adjectif « barbare » ne suffit pas à qualifier ?
Pour être heureux, a-t-on besoin d’aller voir de près un ours polaire séquestré sur ce qu’on lui a laissé de banquise et se faire un « selfie » avec lui ? Ou voyager au bout du monde dans des îles soi-disant paradisiaques pendant que de pauvres hères aux mains rongées par l’eczéma trient nos déchets de touristes sur l’île d’à côté ?


Autant revenir à Pascal et chercher à trouver le bonheur « dans sa chambre », c'est-à-dire en nous-mêmes et autour de nous, par la lecture, la pratique des arts, les relations humaines chaleureuses et les sentiments authentiques !

Je n’ai aucune certitude, je vis dans le doute perpétuel et je ne cherche pas à pontifier. Mais il me semble que si la tragique crise du Covid -19 ne nous laisse comme dessein que de revenir « comme avant », ne nous sert pas à méditer sur les défauts de notre mode de vie du début du XXIe siècle et à changer de société, alors, il sera même plus utile de continuer à engraisser le mercantilisme, parce qu’à la prochaine crise, on tombera tous, riches ou pauvres,  au fond du précipice !


vendredi 8 mai 2020

Se confiner pour écrire : Marcel Proust et sa chambre de liège


A la recherche du Temps perdu commence dans une chambre où l’on se réveille de bonne heure et se termine sur la chambre du Temps… En effet, la chambre est une sorte de métonymie de l’écriture de Marcel Proust (1871-1922) ; « chapelle mystérieuse », elle occupe une place prépondérante d’un bout à l’autre de l’œuvre.

Reconstitution de la chambre de Proust au Musée Carnavalet

Asthmatique dès l’âge de neuf ans, Marcel Proust est un enfant couvé par ses parents ; son père, Adrien Proust, célèbre professeur de médecine, est conseiller du gouvernement pour les épidémies. Pour éviter au petit Marcel les crises d’allergies, on lui interdit les sorties à la campagne mais il effectue des séjours au bord de l’eau, en Normandie, en particulier à Trouville et Cabourg.



Après la mort de ses parents, la santé de Proust se détériore encore et il va s’enfermer pendant quinze ans, pour lutter contre l’asthme mais surtout pour écrire !
Vous pouvez deviner dans quelle détresse je me trouve, écrit Proust à une amie, vous qui m’avez vu les oreilles et le cœur toujours aux écoutes vers la chambre de Maman où sous tous les prétextes je retournais sans cesse l’embrasser, où maintenant je l’ai vue morte, heureux encore d’avoir pu l’embrasser encore. Et maintenant la chambre est vide et mon cœur et ma vie…

Obligé de déménager,  il sous-loue à sa tante un appartement au 102, Boulevard Hausmann et s’y installe en 1906. Pour écrire sans être dérangé, il fait tapisser sa chambre de plaques de liège qui amortissent les bruits, n’ouvre pas les volets et ferme hermétiquement les tentures de satin bleu. D’ailleurs, généralement, il vit la nuit et dort le jour, se nourrit peu mais, pratiquant l’automédication, abuse de café, de sédatifs comme le célèbre Véronal de l’époque mais aussi de morphine, alors en vente libre, qu’il s’injecte lui-même pour calmer son asthme.
La pièce est glacée car, malgré sa frilosité,  il refuse que l’on allume le chauffage, redoutant de dessécher l’atmosphère.  Cloîtré pour écrire, il se déclare « marié avec son œuvre ». 



Moi, l'étrange humain qui, en attendant que la mort le délivre, vit les volets clos, ne sait rien du monde, reste immobile comme un hibou et comme celui-ci ne voit un peu clair que dans les ténèbres. Sodome et Gomorrhe, 1921

Céleste Albaret dans la chambre de Proust

Céleste Albaret, la gouvernante mais aussi confidente, qui a partagé les huit dernières années de sa vie, a témoigné en 1970 sur le mode de vie de Proust au moment où il est en pleine élaboration de son œuvre. Il écrit allongé, les genoux relevés, le manuscrit posé sur les genoux, enveloppé dans des couvertures. A côté du lit,  sur une petite table en palissandre, se trouvent son encrier et une quinzaine de porte-plume avec des plumes sergent-major. Il ne sort plus que la nuit, rarement, emmitouflé dans un manteau à col de loutre et doublé de vison, pour aller dîner au Ritz ou partir en quête de brèves aventures amoureuses.



C’est Céleste qui donne à Proust l’idée des fameuses « paperolles », des bouts de papier collés sur le texte quand l’auteur veut effectuer un ajout, et les lui confectionne.

En 1919, un nouveau déchirement pour l’écrivain ! Il doit encore déménager, sa tante vendant l’immeuble où il réside, et se séparer cette fois de son mobilier familial. Il s’installe de juin à octobre 1919 dans l’appartement où avait habité l’actrice  Réjane, inspiratrice du personnage de La Berma, rue Laurent-Pichat et ensuite au 44, Rue Hammelin, un « ignoble taudis », à ses dires, où il demeurera jusqu’à sa mort.


C’est Céleste qui sera le témoin de la fin de l’œuvre :
Il est arrivé une grande chose cette nuit. C’est une grande nouvelle... Cette nuit, j’ai mis le mot "fin"... .Maintenant je peux mourir... Mon œuvre peut paraître. Je n’aurai pas donné ma vie pour rien...

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Tombe de Proust au Père Lachaise

C’est bien dans une chambre confinée qu’est née en quinze années la « cathédrale » d'A la recherche du Temps perdu, une des plus grandes  œuvres de la littérature mondiale

jeudi 7 mai 2020

Se confiner pour écrire : Gustave Flaubert ou l’Ermite de Croisset



Pour certains écrivains, le confinement n’est pas une torture mais un choix volontaire ! 

En janvier 1844, à l’âge de 23 ans, lors d’une promenade en fiacre, Flaubert est soudain terrassé par une crise d’épilepsie. Cet épisode coïncidant avec l’achat d’une maison de campagne à Croisset, la famille s’y installe en juin pour que le jeune homme puisse y effectuer sa convalescence. 


Adieu les études de droit qu’on souhaitait lui voir effectuer ! En réalité, pour Gustave, c’est une aubaine ! La maladie- qui d’ailleurs ne durera pas- est tombée à propos pour qu’il puisse se consacrer à son activité favorite, écrire ! Et en dépit de quelques voyages, elle lui servira de prétexte pour tracer désormais sa ligne de conduite : s’enfermer et créer !


Même la passion amoureuse ne parvient pas à l’arracher à son isolement. En juillet 1843, il rencontre la sulfureuse Louise Colet, belle poétesse qui sert de modèle au sculpteur Pradier. 


C’est le début d’une ardente passion mais Flaubert ne cesse de repousser les rendez-vous avec Louise, qu’il trouve trop envahissante. Leur célèbre correspondance en conserve le témoignage. Louise, même si elle est mariée à cette époque, ne cesse de solliciter des rendez-vous et Flaubert multiplie les prétextes, en particulier la nécessité de s’occuper de sa mère,  pour les évincer et se consacrer à la rédaction de La Tentation de Saint-Antoine. Au début, Louise, qui n’a pas encore compris le caractère de Gustave, s’inquiète pour sa santé de « reclus ». Flaubert tente de la rassurer :
Je n’ai jamais senti ce que c’était que la fatigue intellectuelle, et il fut une année où j’ai travaillé régulièrement pendant dix mois quinze heures par jour … Quant à la fatigue physique, l’éducation m’a fait un tempérament de colonel de cuirassiers. Sans mes nerfs, partie délicate chez moi, qui me rapproche des gens comme il faut, j’aurais un peu d’affinité avec le fort de la Halle. Sois donc sans crainte, pauvre chérie ; je n’ai pas besoin d’exercice et je vis bien quinze jours sans prendre l’air ni sortir de mon cabinet. 14 octobre 1846


Mais peu à peu, Louise comprend que Flaubert n’a qu’un désir profond : rester seul pour écrire ! Car ce dernier ne cache pas que cet amour, qu’il trouve trop passionné, est un obstacle à son travail d’écrivain :
Ce soir je me suis remis au travail, mais en m’y forçant. Depuis six semaines environ que je te connais (expression décente), je ne fais rien. Il faut pourtant sortir de là. Travaillons, et de notre mieux ; puis, nous nous verrons de temps à autre, quand nous le pourrons ; nous nous donnerons une bonne bouffée d’air, nous nous repaîtrons de nous-mêmes à nous en faire mourir ; puis nous retournerons à notre jeûne. 12 septembre 1846

Son goût de la solitude se double d’une conception très pessimiste des relations humaines. J’ai connu peu d’êtres dont la société ne m’ait inspiré l’envie d’habiter le désert, explique-t-il à Maxime du Camp.

Alors, bien vite, la relation entre Gustave et Louise se dégrade et les lettres ne sont plus qu’un réquisitoire de l'amante alternant avec la défense de l'écrivain. Louise voudrait s’imposer chez son amant, mais il lui refuse l’entrée de sa maison et lui reproche sa jalousie, devenue maladive :
 Est-il possible que tu me reproches jusqu’à l’innocente affection que j’ai pour un fauteuil ! 30 septembre 1846

Et il tente de lui expliquer le 30 avril 1847, que l’amour ne peut occuper la première place dans sa vie :

 Pour moi, l’amour n’est pas et ne doit pas être au premier plan de la vie ; il doit rester dans l’arrière-boutique. Il y a d’autres choses avant lui, dans l’âme, qui sont, il me semble, plus près de la lumière, plus rapprochées du soleil. Si donc tu prends l’amour comme mets principal de l’existence : NON. Comme assaisonnement : OUI.

Peu à peu, la relation s’effrite jusqu’à se terminer à l’été 1848, Louise se consolant avec d’autres.  Flaubert la congédie manu militari le 2 août : Merci du souvenir !

Mais dès le retour du voyage en Orient de Gustave, Louise revient à la charge et la liaison reprend de juillet 1851 à mars 1855. Cette fois, la poétesse semble avoir accepté le besoin de claustration de Gustave et la tonalité des lettres a changé : ce ne sont plus des lettres d’amour mais des missives intellectuelles dans lesquelles Flaubert va décrire tout le travail de rédaction de son œuvre la plus célèbre,  Madame Bovary.


C’est en effet 19 septembre 1851 que Flaubert commence la rédaction de ce roman pour lequel il va littéralement s’enfermer cinq ans, au point de mériter le fameux surnom d’ « ermite de Croisset ».
Je mène une vie âpre, déserte de toute joie extérieure, et où je n’ai rien pour me soutenir qu’une espèce de rage permanente, qui pleure quelquefois d’impuissance, mais qui est continuelle. J’aime mon travail d’un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre. 24 avril 1852

Même les relations avec son entourage lui pèsent :
22 juillet 1852 : Mon frère, ma belle-sœur, mon beau-frère [...], j’ai de tout cela plein le dos. Dieu ! Que je suis gorgé de mes semblables ! [...] Quelle admirable invention du Diable que les rapports sociaux ! Ou, le 4 septembre de la même année : Je me suis réservé dans la vie un petit cercle. Mais une fois qu’on entre dedans, je devins furieux, rouge… Que ne peut-on vivre dans une tour d’ivoire ?
Gustave ne vit plus qu’à travers son roman et une petite escapade à Trouville le convainc encore davantage qu’il n’est fait que pour rester enfermé dans sa chambre :
Loin de ma table, je suis stupide. L’encre est mon élément naturel ! Beau liquide, du reste, que ce liquide sombre ! Et dangereux ! Comme on s’y noie ! Comme il attire ! explique-t-il à Louise le 14 août 1853.



D’ailleurs, les affres de la création du livre sont si intenses qu’il compare son travail  à une ascension d’alpiniste :
La perle est une maladie de l’huître et le style, peut-être, l’écoulement d’une douleur plus profonde. N’en est-il pas de la vie d’artiste ou plutôt d’une œuvre d’Art à accomplir comme d’une grande montagne à escalader ?  16 septembre 1853

Toutes les lettres de cette époque reflètent les souffrances de l’écrivain en train de créer. Flaubert n’est plus qu’un « homme plume », comme il se qualifie lui-même, qui ne veut plus sortir de sa tour d’ivoire !

Et une fois de plus, Louise, qui ne parvient plus à le comprendre, s’éloigne de lui. Jusqu’à ce que le 6 mars 1855,  il lui écrive assez cruellement :
J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois, chez moi. Je n’y étais pas. Et dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.

 C’est de ce confinement volontaire et de cette misanthropie délibérément assumée que sont nés plusieurs chefs-d’œuvre de la littérature française !


Mon autre blog, Gisèle Durero-Köseoglu, écrivaine d’Istanbul
http://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/

mardi 5 mai 2020

Comment le Covid-19 nous a fait tomber dans la déréliction…


En latin, le mot « derelectio » désignait un abandon complet ; puis, les  philosophes mystiques ont utilisé le mot « déréliction » pour qualifier l’état de ceux qui avaient perdu la grâce divine  et sombraient dans un état de solitude extrême. 

Aujourd’hui, c’est la crise du Covid-19 qui nous plonge dans la déréliction. Car oui, nous sommes seuls et abandonnés ! Il ne nous reste plus que notre conscience morale pour tenter de distinguer le vrai du faux, et, à défaut d’acquérir la moindre certitude, de nous définir chacun une attitude, en notre âme et conscience !



D’abord, ce furent les mensonges de l’état affirmant que la maladie, qui n’était de toute façon qu’une « gripette », n’arriverait pas en France. Puis, sa décision de maintenir les élections à la veille de l’ordre de confinement, au grand dam d’une partie du monde médical. Qui croire ? Que croire ? Ensuite, ce furent les discours intempestifs des politiques et même de certains scientifiques en collusion avec le pouvoir, sur l’inutilité des masques alors que l’exemple du monde entier prouvait le contraire et qu’aujourd’hui, on a tourné casaque. Qui croire ? Que croire ? Pour continuer, ce furent les polémiques incessantes sur l’efficacité, l’utilité ou la nocivité de certains traitements contre le virus, avec le monde scientifique fracturé en deux, entre partisans et adversaires de la Chloroquine. Dans la foulée, alors que la loi juge l’homicide, même involontaire, comme un délit, nous avons  entendu avec effroi certains médecins italiens déclarer sur les ondes que faute de lits de réanimation, ils étaient contraints de choisir les patients à sauver ; après, on a  appris qu’en France, une ordonnance du 29 mars 2020 autorisait à utiliser dans les Ehpad le Ritrovil, un sédatif permettant de mourir sans souffrance, pour les personnes âgées, que, par manque de lits d’hôpitaux, on ne cherchait même pas à tenter de soigner ! Certains ont salué cet efficace soulagement de la douleur, d’autres l’ont affublé du sobriquet d’« euthanasie ». Qui croire ? Que croire ? On nous a convaincus que la France était la cinquième puissance mondiale, possédait une infrastructure médicale enviée par toute la planète et on s’est retrouvé avec une pénurie de matériel,  plus de 25000 morts et même les moqueries de certains pays « en voie de développement » qui s’en sortaient mieux que nous et se sont empressés de nous rappeler que nous sommes de bien piètres donneurs de leçons. Qui croire ? Que croire ? Maintenant, ce sont les débats sur l’opportunité de la réouverture des écoles le 11 mai, entre des pédiatres affirmant que cette mesure s’impose et d’autres médecins prévoyant les affres d’une seconde vague d’infection et l’Apocalypse pour la fin juin. Sans parler de l’arrivée sur le marché de la grande distribution de millions de masques à vendre, alors qu’il n’y a pas si longtemps, même le personnel soignant ne disposait pas de cet accessoire… Qui croire ? Que croire ?

Quand je dis que toutes nos certitudes se sont effondrées, je n’exagère pas. Le vrai, déjà si malmené depuis les deux Guerres mondiales, s’est une fois de plus acoquiné avec le faux. Tout ce à quoi nous avons cru « dur comme fer » s’est révélé bancal, nous voilà désemparés, privés de convictions, rongés de défiance et la parole officielle, dorénavant, n’a pas plus de prix que les élucubrations de certains youtubeurs. 

Désormais, nous sommes seuls face à notre absence de foi et d’espoir,  un doute cruel nous gangrène et beaucoup d’entre nous rêvent de partir s’installer avec quelques proches et « happy few », pour reprendre une expression de Stendhal,  dans un hameau abandonné, avec un stock de bougies, trois chèvres et Les Pensées de Pascal comme unique bibliothèque, pour vivre loin de cette société dénaturée par les mensonges et la cupidité et y refaire une sorte de communauté hippie, loin des institutions et de leurs manipulations !

Que notre lucidité, les intuitions de notre for intérieur et ce qui nous reste d’éthique nous viennent en aide pour définir notre future ligne de conduite !


Mon autre blog, Gisèle Durero-Köseoglu, écrivaine d’Istanbul


dimanche 3 mai 2020

Madame de Sévigné et les épidémies


La fausse lettre de « confinement » de Madame de Sévigné diffusée sur les réseaux sociaux  (joli pastiche élaboré par Jean-Marc Banquet d’Orx, dans lequel l’épistolière écrivait à sa fille pour lui parler d’une épidémie, et si bien écrit qu’à première lecture, nombreux sont ceux et celles qui sont tombés dans le piège !) permet de rappeler, qu’en réalité, à l’époque de la marquise, et aussi au siècle suivant, on vit dans la terreur des épidémies ! 
En particulier celles de « La Petite Sœur », c'est-à-dire la variole, alors appelée « petite vérole ». 

Marie de Rabutin-Chantal, Marquise de Sévigné, peinte par par Lefebvre en 1665

Plusieurs fois, la marquise parle à sa fille, Françoise de Grignan, de la maladie et lui donne des conseils pour qu’elle se tienne éloignée des lieux contaminés et ne risque pas de gâter sa beauté de  « plus jolie fille de France » !

Madame de Grigan peinte par Mignard en 1669


En voilà quelques exemples :

6 mai 1671 : Mais, ma bonne, pourquoi avez-vous été à Marseille ? Monsieur de Marseille mande ici qu’il y a de la petite vérole : puis-je avoir un moment de repos que je ne sache comme vous vous portez ?

5 août 1671 : Je vous conjure, ma chère bonne, de vous bien conserver ; et s’il y avait quelques enfants à Grignan qui eussent la petite vérole, envoyez-les à Montélimar : votre santé est le but de tous mes désirs…

25 novembre 1671 : J’ai appris par mes lettres de Paris la mort de votre premier président… Je ne sais comment je n’ai pas eu l’esprit de vous conseiller ce que vous avez fait, moi qui craignais également de vous voir affronter la petite vérole à Aix, ou retourner sur vos pas à Grignan : il n’y avait qu’à ne bouger d’où vous êtes ; vous avez pris le bon parti…

18 décembre 1671 : M. de Coulanges m’attend pour m’amener chez lui, où il dit que je loge, parce qu’un fils de Madame de Bonneuil a la petite vérole chez moi. Elle avait dessein très-obligeamment d’en faire un secret, mais on a découvert le mystère…

10 février. 1672 : Ma chère fille, après bien des alarmes et de fausses espérances, nous avons perdu le pauvre Chevalier… La fièvre le prit en venant de Paris, et la petite vérole, avec une telle corruption, qu’on ne pouvait durer dans sa chambre…

13 avril 1672 : Vous m’obéissez pour n’être point grosse, je vous en remercie de tout mon cœur ; ayez le même soin de me plaire pour éviter la petite vérole…

5 février 1674 : On avait cru que Mademoiselle de Blois avait la petite vérole, mais cela n’est pas. On ne parle point des nouvelles d’Angleterre ; on juge par là qu’elles ne sont pas bonnes. On a fait un bal ou deux à Paris dans tout le carnaval ; il y a eu quelques masques, mais peu. La tristesse est grande…

24 juillet 1675 : Mme de Montlouet a la petite vérole : les regrets de sa fille sont infinis ; la mère est au désespoir aussi de ce que sa fille ne veut pas la quitter pour aller prendre l’air, comme on lui ordonne…

On voit que les épidémies sont une constante préoccupation pour la marquise. Car si tout le monde ne meurt pas de la maladie, dont la létalité est très élevée, ceux qui en réchappent restent marqués à vie ! Mademoiselle de Lespinasse, la Princesse Palatine, Mirabeau, font partie des « grêlés » ! Louis XIV, Voltaire, Chateaubriand, Goethe, contractèrent la maladie  sans toutefois en conserver les stigmates.

Madame de Sévigné a-t-elle eu le pressentiment que la variole causerait des ravages dans sa famille ?  Car la petite vérole emporta non seulement l’épistolière en personne à Grignan en 1696, mais aussi son petit-fils Louis-Provence de Grignan en 1704 et sa fille Françoise 1705 à Marseille !

De quelques « grêlés » célèbres…

Lorsque Julie de Lespinasse, après avoir quitté le salon de Madame du Deffand, s’installe dans la demeure où elle passera les douze dernières années de sa vie, se produit un événement tragique : elle contracte la petite vérole ! Elle avait refusé l’inoculation, croyant déjà avoir attrapé la variole dans sa jeunesse. C’est D’Alembert, qui, au mépris de la contagion, se met à la veiller jour et nuit : « Elle est assez marquée de la petite vérole, écrit-il à Hume, mais sans en être défigurée le moins du monde »… Puis, il tombe malade lui-même, frôle la mort et c’est au tour de Julie de le veiller : «  Il faut, écrit-il, que le diable, qui nous guette l'un et l'autre, ne sache pas son métier… » Au dire des contemporains, Julie garda sur le visage de telles cicatrices que son teint en fut « gâté », ce qui n’éclipsa pas, cependant sa grâce de salonnière…



En ce qui concerne Voltaire, il contracte la maladie en 1723 et tombe malade au point de rédiger son testament. Plus tard, dans ses Lettres philosophiques, il consacrera de nombreuses lignes à vanter l’inoculation.

Quant à Mirabeau, on disait que sa légendaire laideur était encore accentuée par les profondes cicatrices de la petite vérole dont il avait souffert dans la petite enfance…

L’inoculation

Au XVIIIe siècle, les Turcs pratiquent ce que l’on nomme l’inoculation, ancêtre de la vaccination, procédé sans doute venu de Chine. En 1712, un voyageur, Aubry de la Mottraye, signale que les jeunes Circassiennes sont inoculées : « Les jeunes Circassiennes sont vendues par leurs parents en vue de peupler les harems des riches Turcs. Si leur visage n’est jamais grêlé, c’est que les vieilles du pays les piquent en cinq endroits différents et mêlent au sang de leurs plaies du pus d’un autre enfant déjà atteint de la petite vérole ».

Inoculation chez les Ottomans

Quelques années plus tard, Lady Montaigu, épouse de l’ambassadeur anglais, séjourne à Istanbul et s’émerveille de voir que l’on y pratique la vaccination contre la maladie ; elle fait même « inoculer » ses enfants…

Lady Montaigu habillée "à la turque"...

Le médecin suisse Tronchin, qui eut les honneurs d’un article dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert,  fut un des ardents défenseurs de l’inoculation en Europe et il la pratiqua en France en 1755 pour la première fois ; en 1774, Louis XVI et ses frères furent inoculés publiquement. De nombreux nobles invitèrent Tronchin à Paris pour faire vacciner leurs enfants, en dépit des résistances de la médecine officielle. Il fallut attendre 1864 pour qu’Ernest Chambon répande la « vaccine animale »…

L'inoculation, tableau de Boilly en 1807


Comme ces exemples le montrent, confiants dans les progrès de l’époque moderne, nous avons eu un peu tendance à oublier, dans les pays développés, que les épidémies ont jalonné notre histoire...
Mon autre blog : Gisèle Durero-Koseoglu, écrivaine d'Istanbul
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