samedi 10 mars 2018

Andreï Makine. L’Archipel d’une autre vie ou l’envoûtement sibérien


Quand j’entends le nom d’Andreï Makine, académicien depuis 2016,  me revient toujours en mémoire la fascination que j’avais jadis éprouvée en découvrant son roman Le Testament français, que j’avais considéré comme un chef-d’œuvre  et qui fut d’ailleurs couronné de plusieurs prix littéraires…



L’Archipel d’une autre vie  est un roman original débutant par le récit à la première personne d’un jeune géomètre russe, orphelin, « enfant de taulards » qui, dans les années 1970, a été sélectionné pour devenir géomètre et part effectuer un stage en Sibérie, près de la ville de Nikolaïevsk, non loin d’un océan qu’il ne voit jamais. Arrivé à Tougour, près du lieu de son stage, où il est un peu oublié par ses supérieurs, il voit descendre d’un hélicoptère un voyageur mystérieux qui s’éloigne à pied dans la taïga. Il entreprend alors de suivre…

C’est ainsi que commencera un second récit à la première personne, enchâssé dans le premier, qui raconte l’histoire de Pavel Gartsev.

Qu’ai-je fait après avoir lu une cinquantaine du roman ? Je suis vite allée consulter une carte pour voir où se passait exactement l’intrigue.


Vous pouvez voir une marque orange désignant (approximativement) l’emplacement de la ville de  Nikolaïevsk et une marque rouge placée au-dessus de l’archipel des Chantars, où se déroule une partie de l’action.

Le récit de Gartsev effectue un retour en arrière en 1952 et raconte comment, jeune militaire, il a participé à de terribles opérations de simulation d’une Troisième Guerre mondiale. Un épisode poignant, marqué par la mégalomanie, les mensonges et le sadisme des  supérieurs hiérarchiques du jeune homme, qui, sous prétexte de tester son endurance lors d’une éventuelle  attaque atomique, lui imposent des manœuvres assimilables à des sévices le  conduisant au seuil de la mort.

Jusqu’au jour où on les affecte, lui et quatre de ses camarades, à une nouvelle mission : poursuivre un criminel qui vient de s’évader d’un camp de prisonniers.

Commence alors une sauvage chasse à l’homme dans la taïga, qui conduit le lecteur époustouflé  de rebondissements en rebondissements…

Photo Internet merci aux auteurs

L’auteur dit à ce propos : « C’est un évadé  astucieux parce qu’il vit en symbiose avec la nature, il est né dedans. Chaque arbre est son ami, chaque aiguille de pin est son allié. Il joue tous les tours à ces cinq soldats qui sont d’abord effrayés, puis, amusés par ses astuces ».

Ce qui m’a fascinée dans ce livre, finalement, c’est moins l’histoire des hommes, si passionnante soit-elle, que celle de la nature ; les héros de cette histoire  ne sont autres que la taïga et l’océan. Les couvertures se parent de croûtes de glace qui se brisent au réveil, les pattes des loups ou des lynx laissent des empreintes sur la neige, on se colle des plaques de lichens sur la poitrine pour se protéger du froid. Le souffle épique qui sous-tend le roman s’amplifie dans la dernière partie, se déroulant dans l’archipel des Chantars et offrant d’impressionnantes descriptions de l’océan :

 « A l’approche de cet îlot, la mer fut éventrée, découvrant des boyaux de flux qui s’emmêlaient, bouillonnaient, formaient des ondes contraires. Notre radeau tourniqua, telle une brindille dans un ruisseau et soudain ralenti dans un répit inexplicable, évitant les rochers et ses nuées d’oiseaux marins… L’île s’approchait à une vitesse tétanisante, se laissant précéder d’une herse de pitons à moitié immergés et de hautes gerbes de ressac. Et tout droit, devant nous, avançait une muraille de roche, semblable à la proue effilée d’un paquebot, prête à couper en deux notre radeau qui se disloquait déjà...»

Photo Internet merci aux auteurs


Au-delà de l’évocation de la violence d’une nature vierge  Makine  donne à son roman une symbolique existentielle : « Ce citadin de Gartsev est projeté dans un élément qui lui est complètement étranger… Gartsev se rendra compte qu’il s’agit d’une remise en question de tout ce qu’il a vécu  auparavant, c’était une forme de mort, un sommeil mortel qu’il avait toujours vécu et il faut être dans ces contrées désolées et solitaires pour comprendre la valeur de la vue d’autrui… »

Photo Internet merci aux auteurs

Envoûtée par l’atmosphère des derniers chapitres, c’est avec regret que je suis arrivée à la dernière page du livre, rêvant d’océans déchaînés et de maisons de glace…