vendredi 8 mai 2020

Se confiner pour écrire : Marcel Proust et sa chambre de liège


A la recherche du Temps perdu commence dans une chambre où l’on se réveille de bonne heure et se termine sur la chambre du Temps… En effet, la chambre est une sorte de métonymie de l’écriture de Marcel Proust (1871-1922) ; « chapelle mystérieuse », elle occupe une place prépondérante d’un bout à l’autre de l’œuvre.

Reconstitution de la chambre de Proust au Musée Carnavalet

Asthmatique dès l’âge de neuf ans, Marcel Proust est un enfant couvé par ses parents ; son père, Adrien Proust, célèbre professeur de médecine, est conseiller du gouvernement pour les épidémies. Pour éviter au petit Marcel les crises d’allergies, on lui interdit les sorties à la campagne mais il effectue des séjours au bord de l’eau, en Normandie, en particulier à Trouville et Cabourg.



Après la mort de ses parents, la santé de Proust se détériore encore et il va s’enfermer pendant quinze ans, pour lutter contre l’asthme mais surtout pour écrire !
Vous pouvez deviner dans quelle détresse je me trouve, écrit Proust à une amie, vous qui m’avez vu les oreilles et le cœur toujours aux écoutes vers la chambre de Maman où sous tous les prétextes je retournais sans cesse l’embrasser, où maintenant je l’ai vue morte, heureux encore d’avoir pu l’embrasser encore. Et maintenant la chambre est vide et mon cœur et ma vie…

Obligé de déménager,  il sous-loue à sa tante un appartement au 102, Boulevard Hausmann et s’y installe en 1906. Pour écrire sans être dérangé, il fait tapisser sa chambre de plaques de liège qui amortissent les bruits, n’ouvre pas les volets et ferme hermétiquement les tentures de satin bleu. D’ailleurs, généralement, il vit la nuit et dort le jour, se nourrit peu mais, pratiquant l’automédication, abuse de café, de sédatifs comme le célèbre Véronal de l’époque mais aussi de morphine, alors en vente libre, qu’il s’injecte lui-même pour calmer son asthme.
La pièce est glacée car, malgré sa frilosité,  il refuse que l’on allume le chauffage, redoutant de dessécher l’atmosphère.  Cloîtré pour écrire, il se déclare « marié avec son œuvre ». 



Moi, l'étrange humain qui, en attendant que la mort le délivre, vit les volets clos, ne sait rien du monde, reste immobile comme un hibou et comme celui-ci ne voit un peu clair que dans les ténèbres. Sodome et Gomorrhe, 1921

Céleste Albaret dans la chambre de Proust

Céleste Albaret, la gouvernante mais aussi confidente, qui a partagé les huit dernières années de sa vie, a témoigné en 1970 sur le mode de vie de Proust au moment où il est en pleine élaboration de son œuvre. Il écrit allongé, les genoux relevés, le manuscrit posé sur les genoux, enveloppé dans des couvertures. A côté du lit,  sur une petite table en palissandre, se trouvent son encrier et une quinzaine de porte-plume avec des plumes sergent-major. Il ne sort plus que la nuit, rarement, emmitouflé dans un manteau à col de loutre et doublé de vison, pour aller dîner au Ritz ou partir en quête de brèves aventures amoureuses.



C’est Céleste qui donne à Proust l’idée des fameuses « paperolles », des bouts de papier collés sur le texte quand l’auteur veut effectuer un ajout, et les lui confectionne.

En 1919, un nouveau déchirement pour l’écrivain ! Il doit encore déménager, sa tante vendant l’immeuble où il réside, et se séparer cette fois de son mobilier familial. Il s’installe de juin à octobre 1919 dans l’appartement où avait habité l’actrice  Réjane, inspiratrice du personnage de La Berma, rue Laurent-Pichat et ensuite au 44, Rue Hammelin, un « ignoble taudis », à ses dires, où il demeurera jusqu’à sa mort.


C’est Céleste qui sera le témoin de la fin de l’œuvre :
Il est arrivé une grande chose cette nuit. C’est une grande nouvelle... Cette nuit, j’ai mis le mot "fin"... .Maintenant je peux mourir... Mon œuvre peut paraître. Je n’aurai pas donné ma vie pour rien...

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Tombe de Proust au Père Lachaise

C’est bien dans une chambre confinée qu’est née en quinze années la « cathédrale » d'A la recherche du Temps perdu, une des plus grandes  œuvres de la littérature mondiale