samedi 11 janvier 2020

Georges Simenon à Istanbul, Arte, Invitation au voyage


C’est au mois de mai 2019 que j'ai eu le plaisir et l'honneur de participer au reportage de la chaîne Arte, "Simenon à Istanbul", destiné à l'émission "Invitation au voyage". Le temps était très orageux ce jour-là, et nous avons bien souvent failli nous envoler sur le pont du bateau.



Mais ce fut une belle journée, en compagnie de Chenel Kilinç, l’organisatrice à Istanbul (à gauche), Anne Gautier, la réalisatrice (à droite), et Gabriel, le cameraman.


Simenon à Istanbul
Georges Simenon, auteur de 192 romans et 158 nouvelles, vient à Istanbul du 1 juin au 19 juillet 1933. Arrivé de Marseille sur le paquebot Angkor, il veut effectuer, pour le quotidien Paris-Soir, une interview de Léon Trotsky qui est exilé depuis 1929 sur l’île de Buyuk Ada. Le 6 juin, Simenon prend le bateau  et part rencontrer Trotsky, qui, redoutant un assassinat, vit cloîtré dans une pièce entourée de livres et ne sort du manoir que pour aller à la pêche, comme le montrent les journaux turcs de l'époque...




Ensuite, Simenon se rend à Odessa, Batoum et Trabzon pour découvrir le monde soviétique puis revient à Istanbul et Ankara, où il prend plus de quatre cents photos. « Le tout début d’un roman, la graine, est un fait d’observation dans la rue »,  dit-il. Comme pour Zola avant lui, les photos constitueront une formidable source d'inspiration pour ses romans...
Le séjour stambouliote inspira à Simenon, qui y logeait au célèbre hôtel Pera Palas, plusieurs œuvres, dont le roman Les Clients d’Avrenos, traduit en turc par Cetin Altan en 1949, qui faisait l’objet de l’émission.


Un résumé de ma présentation du roman Les Clients d’Avrenos
Les endroits que Simenon choisit de décrire à Istanbul ne sont pas vraiment symboliques de la ville en 1933 mais plutôt des lieux appartenant au vieil Istanbul d’avant la république et qui ont déjà été évoqués dans les Voyages en Orient. Dans le roman Les Clients d’Avrenos, on semble très loin de la Turquie d’Atatürk et de la jeune république ; car en 1933, cela fait déjà 10 ans que la république existe, toutes les grandes réformes ont déjà été réalisées mais Simenon n'en parle jamais. Pour Simenon, Istanbul en 1933, c’est une ville où on loge au Pera Palas, où on se promène en caïque de nuit sur le Bosphore et aux Eaux-Douces d’Asie, où on va pratiquer le kief, s’enivrer, fumer du haschich dans un vieux "yali" du Bosphore ; c’est une image d’Istanbul déjà obsolète à son époque, une vision subjective nourrie par les récits d’écrivains-voyageurs.


Simenon décrit un monde en déliquescence, avec des personnages marginaux en décalage avec la nouvelle république ; ils appartiennent à la Turquie d’avant, ce sont des hommes de l'ancien monde, des beys, des pachas, qui ont perdu leur fortune, comme Mufti bey qui « avant la révolution, possédait plusieurs palais sur le Bosphore et des terrains immenses ». Cette dégringolade sociale les transforme en noceurs exclus de la nouvelle société qui se caractérise au contraire par la volonté des intellectuels de s'impliquer dans la nouvelle Turquie d'Atatürk. Quant au héros masculin, Jonsac, âgé de la quarantaine, accompagné de la danseuse Nouchi,  il  se définit comme « une sorte de raté qui traîne sa bohème ». Redoutant la solitude, il ne parvient pas à échapper, même s’il le souhaite, à l'emprise des membres du groupe qui le poussent à mener une vie de "patachon". Sa crise existentielle semble une métonymie de la crise de l’Europe en proie à la montée des fascismes en 1933.

Pour visionner la vidéo de l'émission, cliquer sur la barre blanche :