Jean-Jacques n’a que seize ans lorsque, fuyant la dureté du graveur chez
lequel il est en apprentissage à Genève, il fait une fugue. Et pas une fugue
ordinaire : il part tout seul à pied et sans argent vers la Savoie, en France !
Un curé, Monsieur de Pontverre, qui ambitionne de convertir au catholicisme
un jeune protestant, l’envoie chez une dame qui s’occupe des nouveaux
convertis. Jean-Jacques s’imagine qu’il va rencontrer « une vieille dévote bien rechignée ».
Que nenni ! Celle qui lui apparaît, le jour des Rameaux de 1728, a
« un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un
teint éblouissant… une gorge enchanteresse… » C’est donc le coup de foudre
pour Jean-Jacques !
Au bout d’un an, après bien des péripéties, Jean-Jacques s’installe chez
Madame de Warens. Précisons quand même qu’à cette époque, Françoise a un autre
homme dans sa vie, son intendant, Claude Anet. Il gère ses biens et l’aide à
herboriser, car Madame de Warens fait le commerce des plantes aromatiques.
Au début, la relation entre Jean-Jacques et Françoise est celle d’une mère
à son fils. Il l’appelle « Maman », elle le nomme
« Petit ». Rousseau n’a pas connu sa mère, décédée dans les jours
suivants sa naissance ; affamé de tendresse, il se réfugie dans
l’affection de Françoise et savoure la douceur de cet amour platonique. Et même
s’il tente par trois fois de s’assumer seul en s’éloignant, il finit toujours
par revenir.
En 1732, il a vingt ans et Françoise déménage pour s’installer dans une
maison à Chambéry. Là, « Maman » parachève l’éducation de Rousseau en
musique, littérature, arithmétique. Comme elle joue du clavecin et que
Jean-Jacques est passionné de musique, ils donnent de petits concerts.

Puis, pour gagner quelques sous, Rousseau se met à donner des cours de musique aux filles des amies de Françoise. Seulement voilà ! Une des amies jette son dévolu sur Rousseau ! Et que fait Maman ? Elle est jalouse ! Elle se rend compte que son « Petit » a grandi et qu’une autre femme va le lui enlever. Aussi décide-t-elle de le « traiter en homme » !
Rousseau précisera cependant que le fait de devenir l’amant de Madame de Warens ne fut pas d’une importance capitale dans sa vie, ce dont il ne se rassasiait pas, c’était sa tendresse.

Puis, pour gagner quelques sous, Rousseau se met à donner des cours de musique aux filles des amies de Françoise. Seulement voilà ! Une des amies jette son dévolu sur Rousseau ! Et que fait Maman ? Elle est jalouse ! Elle se rend compte que son « Petit » a grandi et qu’une autre femme va le lui enlever. Aussi décide-t-elle de le « traiter en homme » !
Rousseau précisera cependant que le fait de devenir l’amant de Madame de Warens ne fut pas d’une importance capitale dans sa vie, ce dont il ne se rassasiait pas, c’était sa tendresse.
Et Claude Anet dans tout cela ? Comme on peut l’imaginer, il eut « le
choc de sa vie » en apprenant que la relation entre « Maman » et
« Petit » avait un peu changé de nature. Très affecté par cette
révélation, en 1734, il tente de se mettre fin à ses jours en avalant du
laudanum puis finir par mourir en cueillant du génépi, fin mystérieuse que l’on
interpréta comme un suicide.
En
1737, comme elle a des ennuis financiers, Françoise loue une petite maison de
campagne, Les Charmettes. Ce sera la maison du bonheur.
Jean-Jacques a enfin
« Maman » pour lui tout seul ! Dans les Confessions, (Livre VI) il écrira à propos de cette période bénie
une des plus belles déclarations d’amour de la littérature française :
Ici commence le court bonheur de
ma vie… Je me levais avec le soleil, et j'étais heureux ; je me
promenais, et j'étais heureux ; je voyais maman, et j'étais heureux ;
je la quittais, et j'étais heureux ; je parcourais les bois, les coteaux,
j'errais dans les vallons, je lisais, j'étais oisif, je travaillais au jardin,
je cueillais les fruits, j'aidais au ménage, et le bonheur me suivait partout :
il n'était dans aucune chose assignable, il était tout en moi-même, il ne
pouvait me quitter un seul instant…
Puis, dans « Le Verger de Madame de Warens » :
Verger cher à mon cœur, séjour de l'innocence,
Honneur des plus beaux jours que le ciel me dispense.
Solitude charmante, Asile de la paix ;
Puissé-je, heureux verger, ne vous quitter jamais.
Pourtant, ce bonheur idyllique aura une fin. Car l’amour d’un des plus grands esprits du XVIIIe siècle ne comble pas Françoise. Ah, la vilaine ! Elle avait un faible pour les jeunes convertis !
Au retour d’un voyage, Rousseau se rend
compte qu’il a été supplanté dans le cœur de son grand amour par un autre jeune
homme, un perruquier, Wintzenried.
Jean-Jacques mettra quand même plusieurs années pour parvenir à couper le
cordon avec « Maman ». La relation s’effilochera progressivement
jusqu’en 1742, date à laquelle il a le courage de partir définitivement, à
Paris, pour aller gagner sa vie.
En dépit des autres amours qu’il connaîtra au long de sa vie, Jean-Jacques
n’a jamais oublié Françoise de Warens. Elle occupe dans son œuvre une place
centrale. A tel point que, plus de trente cinq ans plus tard, dans Les Confessions, il aimerait faire
« entourer d’un balustre d’or » le lieu où il l’a rencontrée !
A la fin de sa vie, dans la dixième rêverie des Rêveries du promeneur solitaire, il lui rend encore hommage, dans une suprême déclaration d’amour, où il regrette de ne pas lui avoir « suffi » :
Aujourd'hui, jour de Pâques fleuries, il y a précisément
cinquante ans de ma première connaissance avec madame de Warens. Elle avait
vingt-huit ans alors, étant née avec le siècle. Je n'en avais pas encore
dix-sept et mon tempérament naissant, mais que j'ignorais encore, donnait une
nouvelle chaleur à un cœur naturellement plein de vie. S'il n'était pas
étonnant qu'elle conçût de la bienveillance pour un jeune homme vif, mais doux
et modeste, d'une figure assez agréable, il l'était encore moins qu'une femme
charmante, pleine d'esprit et de grâces, m'inspirât avec la reconnaissance des
sentiments plus tendres que je n'en distinguais pas (…)
Longtemps encore avant de la posséder je ne vivais plus qu'en elle et pour elle. Ah ! si j'avais suffi à son cœur, comme elle suffisait au mien ! Quels paisibles et délicieux jours nous eussions coulés ensemble !
Longtemps encore avant de la posséder je ne vivais plus qu'en elle et pour elle. Ah ! si j'avais suffi à son cœur, comme elle suffisait au mien ! Quels paisibles et délicieux jours nous eussions coulés ensemble !
Et peu avant sa mort, ne s’exclame-t-il pas au sujet des Charmettes ?
J'avais besoin de me recueillir pour aimer. Une maison isolée au penchant
d'un vallon fut notre asile, et c'est là que dans l'espace de quatre ou cinq
ans, j'ai joui d'un siècle de vie.
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