dimanche 10 janvier 2016

Rousseau : Le manteau arménien de Jean-Jacques Rousseau

“Mon père, après la naissance de mon frère unique, partit pour Constantinople, où il était appelé, et devint horloger du sérail” déclare Rousseau dans Les Confessions.

Jean-Jacques naîtra des retrouvailles de ses parents après le séjour turc d’Isaac. Ce dernier a-t-il vraiment réglé les pendules du Palais de Topkapi ou n’était-il qu’un simple artisan parmi tant d’autres chargés d’entretenir en Orient les montres que les Suisses commençaient à exporter ? Il semble probable que si Isaac avait réellement occupé la fonction d’horloger du sérail, il n’aurait pas manqué de faire venir sa famille à Istanbul.
Mais de ce père négligent, qui abandonna quasiment ses enfants, Jean-Jacques gardera toute sa vie l’image idéalisée de “l’horloger du sérail”, si bien que l’on retrouve dans son œuvre de nombreuses références à l’Empire ottoman.


La plaque dédiée à Isaac Rousseau sur la place de Galata

De plus, au XVIIIe siècle, on raffole des Turqueries. Lorsque le peintre Van Mour, sur les instances de Monsieur de Ferriol, Ambassadeur du roi, réalise une centaine de tableaux représentant tous les costumes de l’Empire ottoman, son livre, Recueil de cent estampes représentant différentes nations du Levant, gravées sur les tableaux peints d’après nature  en 1707 et 1708, par les ordres de M de Ferriol, Ambassadeur du Roi à la Porte, obtient un tel succès que sa publication va marquer une étape importante dans l’histoire de l’Orientalisme : non seulement, ses gravures constitueront une inépuisable source d’inspiration pour de nombreux écrivains et artistes mais aussi, chacun se met en tête de revêtir un costume turc.


               Le Comte de Vergennes en costume turc par Antoine de Favray 1766

Rousseau n’échappe pas à la mode. Dès 1756, à Montmorency, il porte le kaftan, qu’il trouve très confortable et qu’il appelle « l’habit arménien » :

Je pris l’habit arménien. Ce n'était pas une idée nouvelle; elle m'était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me revint souvent à Montmorency, où le fréquent usage des sondes, me condamnant à rester souvent dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les avantages de l'habit long… (Les Confessions, Livre XII)



On peut donc supposer que c’est douillettement enveloppé dans son habit oriental Jean-Jacques écrivit La Nouvelle Héloïse, Du Contrat social et Emile ou de l’Education.

Il envisage même une garde-robe complète : La commodité d'un tailleur arménien, qui venait souvent voir un parent qu'il avait à Montmorency, me tenta d'en profiter pour prendre ce nouvel équipage, au risque du qu'en dira-t-on, dont je me souciais très peu. Cependant, avant d'adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l'avis de madame de Luxembourg, qui me conseilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garde-robe arménienne.


Il est aidé dans cette entreprise par une dame, Madame Boy de la Tour, qui prend plaisir à exaucer tous les vœux de son idole.
Voltaire ne se prive pas de railler les lubies orientales de Jean-Jacques : il lui trouve une allure de « saltimbanque » !


Mais le scandale déclenché par ses livres et leur interdiction par le Parlement de Paris, qui condamne l’auteur à une « prise de corps »,  le contraint à fuir à Môtiers, en Suisse, village administré par la Prusse.




La maison de Môtiers, éphémère refuge de Rousseau entre 1762 et 1765, jusqu’à ce que les murs en soient lapidés par une foule en colère contre le philosophe…

Il consulte le pasteur, qui l’autorise à se rendre au temple dans son costume oriental doublé de fourrure.

Je pris donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la ceinture ; et après avoir assisté dans cet équipage au service divin, je ne vis point d'inconvénient à le porter chez milord maréchal. Son excellence, me voyant ainsi vêtu, me dit pour tout compliment, Salamaleki ; après quoi tout fut fini, et je ne portai plus d'autre habit…




Un ami de Jean-Jacques a raconté l’anecdote suivante ; son kaftan effrayait les vaches !

Un autre jour, nous revenions d'herboriser avec lui : un troupeau de vaches, engagé dans les sinuosités du sentier que nous suivions, marchait vers nous pour s'en retourner au hameau. M.Rousseau était affublé d'une houppelande rouge, assez semblable pour la forme, à la soutane ecclésiastique ; c'est pourquoi quelques écoliers, par plaisanterie, le nommaient entre eux le prêtre arménien. Un de ces animaux, effarouché à l'apparition du manteau, fit un bond, enfonça et franchit, à deux pas de M. Rousseau, la haie qui bordait son chemin…

Pour finir, je me permettrai une remarque, très cher Jean-Jacques.
Toi qui passas ta vie à vilipender le luxe, tu étais, toi aussi, comme Denis (cf. l’article sur la robe de chambre de Denis Diderot), un sacré coquet, tout de même !






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