lundi 30 mai 2016

Voltaire. Le 30 mai 1778, envol du « Don Quichotte des malheureux »

Article de Gisèle Durero-Koseoglu

Il y a 234 ans s'éteignait François Marie Arouet, écrivant sous le pseudonyme de Voltaire dont on dit qu’il était l’anagramme d’AROVETLI,  forme latine d’« Arouet Le jeune ».


Ce que je trouve le plus extraordinaire -et le plus effrayant aussi - dans l’œuvre de Voltaire, c’est qu’elle soit encore, en 2016,  d’une si féroce actualité.

Que dénonce Voltaire ?

La collusion entre le pouvoir et la religion, la barbarie du fanatisme, l’absurdité et l’atrocité des guerres, les exactions des puissants, l’arbitraire de la justice, la corruption, la censure… la liste est longue ! Tout ce qu’il nomme « l’infâme » !

Portrait de Voltaire, par Maurice Quentin de la Tour, 1735
Voltaire sera un des premiers à reposer au Panthéon. La phrase célèbre écrite sur son sarcophage,  « Il combattit les athées et les fanatiques, il inspira la tolérance, il réclama les droits de l’homme contre la servitude de la féodalité, il agrandit l’esprit humain et lui apprit qu’il devait être libre » rend hommage à sa lutte contre les injustices.

Tombe de Voltaire au Panthéon, photo Internet, merci aux auteurs. 

Il est intéressant de noter qu’à son époque, Voltaire est adulé comme homme de théâtre plus que comme philosophe : dramaturge, metteur en scène, comédien, théoricien, tels étaient les qualificatifs par lesquels ses contemporains auraient pu le désigner. Il fut  aussi un poète ayant à son actif un minimum de deux-cent cinquante mille vers ! Cependant, c’est la partie de son œuvre qu’il considérait plutôt comme une sorte de distraction, ses fameux Contes, que la postérité a reconnue comme chef-d’œuvre patrimonial !


Lit-on encore, aujourd’hui, les tragédies de Voltaire ? Honnêtement, non, son œuvre théâtrale n’est connue que des étudiants et professeurs de lettres. Alors, comment la métamorphose de celui que l’on considérait à son époque comme le plus grand dramaturge du  XVIIIe siècle, en « roi de philosophes », s'est-elle opérée ?

Un peu boudé au début du XIX siècle, lorsque la Restauration l’accuse d’avoir été un fauteur de troubles à l’origine de la Révolution –Victor Hugo ne cesse d’osciller entre l’amour et le rejet du Patriarche de Ferney  - Voltaire est élevé au rang de champion de la laïcité par la troisième République (même si le mot n’est crée dans le Littré qu’en 1871).


Aujourd’hui encore, chaque fois que les libertés fondamentales sont menacées, que les droits de l’homme sont bafoués, on se réfère à Voltaire, comme on a pu le voir après les attentats de l’automne 2015, suivis de multiples rééditions du Traité sur la Tolérance.



Jean Huber, Un dîner de philosophes, vers 1772. Scène de fiction imaginée par le peintre avec Voltaire au centre levant la main et Diderot à sa droite (en réalité, Diderot ne s’est jamais rendu à Ferney…)

Le château de Ferney-Voltaire

Dans son essai Voltaire contre-attaque, écrit peu avant sa mort, André Glucksmann déclarait : « Qui criminalise la liberté d'expression, criminalise Voltaire, vivant ou mort. Une France, pas toute la France, se retrouve voltairienne dès qu'on attaque son droit de penser et de parler »…

Quelques extraordinaires citations de Voltaire :

Zadig, 1747 : « Les hommes sont des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue. »

Micromégas, 1752 : « Notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un atome. A peine a-t-on commencé à s'instruire un peu que la mort arrive avant qu'on ait de l'expérience. »

Histoire des voyages de Scarmentado écrite par lui-même, 1756 : «  On chanta dévotement de très belles prières, après quoi on brûla à petit feu tous les coupables ; de quoi toute la famille royale parut extrêmement édifiée. »

Candide, 1759 : « Les hommes sont dévorés de plus d'envie, de soins, et d'inquiétudes, qu'une ville assiégée n'éprouve de fléaux. »

Dictionnaire philosophique portatif, 1764 : «  Le fanatisme est un monstre mille fois plus dangereux que l’athéisme philosophique. »

« Le merveilleux de cette entreprise infernale (la guerre), c’est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain. »

Traité sur la Tolérance, 1767 : « La tolérance n’a jamais excité de guerre civile ; l’intolérance a couvert la terre de carnages. »

« Nous avons assez de religion pour haïr et persécuter, et nous n'en avons pas assez pour aimer et pour secourir. »

L’Ingénu, 1767 : « La vérité luit de sa propre lumière et on n'éclaire pas les esprits avec les flammes des bûchers. »

« Comment se trouve-t-il tant d'hommes qui, pour si peu d'argent, se font les persécuteurs, les satellites, les bourreaux des autres hommes ? »


 Lecture de L’Orphelin de la Chine, par Voltaire dans le salon de Madame Geoffrin, peinture de Gabriel Lemmonier, 1755.


Vous pouvez aussi lire mon blog Gisèle, écrivaine d'Istanbulhttp://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/

vendredi 20 mai 2016

Hakan Gunday. Roman ENCORE ou la chute en Hadès

Article de Gisèle Durero-Koseoglu

Mon roman coup de cœur des derniers jours est celui d'Hakan Gunday intitulé « Encore », édité par Galaade en 2015, traduit en français par Jean Descat, et lauréat du Prix Médicis Etranger 2015.

Hakan Gunday avait déjà remporté le Prix du Meilleur Roman de l’année en Turquie en 2011 avec  D’un extrême l’autre,  puis le Prix France-Turquie en 2014, pour Ziyan.

« Encore » est une effroyable histoire de passeurs de clandestins, publiée en turc en 2011 aux Editions Dogan sous le titre « Daha », soit avant l’immense flot migratoire des récentes années.
Œuvre prémonitoire, pourrait-on dire.



La phrase d’incipit est un coup de fouet : « Si mon père n’avait pas été un assassin, je ne serais pas né…»

D’emblée, on sait qu’on ne fera pas dans la dentelle.
Le narrateur est, au début, un enfant de neuf ans à qui son père enseigne une morale terrible : chacun sa peau. Et a qui il apprend que, pour sauver la sienne, mieux vaut arracher vite la bouée de sauvetage des mains d’un vieillard et le regarder sombrer plutôt que de s’exposer à couler soi-même.

Les quatre chapitres, qui portent chacun le nom d’une technique picturale, mettent donc en scène Gaza, enfant abandonné par sa mère (du moins, d’après ce que lui raconte son père car…), lui-même violenté par des clandestins ; maltraité par son père, un passeur de migrants qui enferme ces pauvres hères dans une citerne dissimulée dans son jardin- jusqu’à deux cents- et les y fait attendre parfois jusqu’à trois semaines, sans commodités autres que des seaux, rationnant la nourriture et l’eau alors qu’ils ont payé huit mille dollars pour leur passage, avant de les entasser dans un camion avec lequel ils gagneront la côte pour tenter de passer en Grèce.

La version turque du roman

Au fil de toutes ces atrocités, Gaza se pique au jeu de la cruauté et découvre le plaisir d’exercer sur les réfugiés la tyrannie dont il subit lui-même les affres ; bref, Gaza devient un tortionnaire, qui fait payer l’eau à ses victimes criant « encore » car elles ont trop soif…  Et, grâce à une caméra lui permettant d’espionner les malheureux enfermés dans la citerne, se livre à des études sur la dynamique du groupe et la prise de pouvoir, qu’il consigne soigneusement dans des dossiers de son ordinateur. Ce qui n’est pas sans rappeler les méthodes employés par certains Nazis…

Les âmes sensibles pourront me demander les raisons pour lesquelles j’ai aimé ce roman ( en particulier les deux premiers chapitres, soit 212 pages-choc, le deuxième frôle les sommets de ce que j’appellerai un « surréalisme barbare » en transformant le héros en « pharaon enfermé vivant dans sa tombe » ; j’avoue avoir été moins fascinée par les deux derniers chapitres... )
Si je l’ai apprécié, c’est surtout parce qu’il est d’une actualité terrible ; on savait déjà que les passeurs étaient des monstres ; n’a-t-on pas entendu, depuis deux ans, de multiples histoires de migrants étouffés dans des camions, noyés à cause d’embarcations qui ne flottent pas ou de gilets de sauvetage ne contenant que du coton ?

Ce roman nous dit bien que les passeurs ne sont pas seulement des trafiquants mais surtout des assassins, commettant en connaissance de cause, et presque impunément, des crimes contre l’humanité.

Un roman qui nous rappelle aussi que tous les enfants n’ont pas la chance de naître dans une famille dont ils seront les rois choyés ; certains sont des enfants de criminels.



Un roman, enfin, écrit à l’acide, dont le narrateur-personnage est, au sens propre et au sens figuré, « coincé au fond d’un charnier, sous ces ruines humaines, dans une cellule aux parois de chair et de pierre »…


Dessin du jordanien Emad Hajjaj


 Le sujet des migrants n’a pas fini de nous faire dresser les cheveux sur la tête. Voilà les articles de mon blog Gisèle Ecrivaine d’Istanbul consacrés à cette tragique actualité :

« Necromare », la Méditerranée-tombeau, notre honte à tous ! 3.09.2015
La Méditerranée-tombeau 2 : Et pourtant, ne le savait-on pas déjà ? 4.09.2015

La Méditerranée-tombeau 3 : Une larme de plus pour le journal du désespoir… 20.01.2016

La collection Istanbul de Jadis des Editions GiTa Yayinlari d'Istanbul

Article de Gisèle Durero-Koseoglu

La collection « Istanbul de Jadis » des Editions franco-turques GiTa Yayinlari d’Istanbul a pour vocation de rééditer en français d’anciennes œuvres de la littérature francophone portant sur la ville d’Istanbul et de les traduire en turc.

Son but ? Ressusciter de beaux livres un peu tombés dans l’oubli pour les faire connaître aux amoureux de la ville d’Istanbul.

Sachez que la réalisation des livres de cette collection demande un travail considérable : il faut en effet beaucoup d’enthousiasme et d’abnégation  pour refaire entièrement les textes à partir des éditions originales en français, puis les faire traduire en turc.

C’est la tâche du responsable de la collection, Aksel Koseoglu, qui ne ménage pas ses heures pour mener à bien ce projet titanesque.


Les livres de la collection « Istanbul de Jadis » :

 Le Jardin fermé, de Marc Hélys


Ecrivaine, journaliste, voyageuse intrépide, Marie Léra publie en 1908 sous le pseudonyme de Marc Hélys, Le Jardin fermé, recueil de nouvelles sur les harems d’Istanbul. Un livre passionnant, fourmillant d’anecdotes drôles ou poignantes, qui remet en question, avec humour ou compassion, nombre de préjugés sur le harem et la condition des femmes turques dans les dernières années de l’Empire ottoman.
En effet, contrairement à beaucoup de voyageurs qui parlent des harems sans jamais y avoir pénétré, Marc Hélys, lors de ses trois séjours à Istanbul en 1901, 1904 et 1905, partage le quotidien de deux jeunes femmes, Nouryé et Zennour et s’introduit par leur entremise dans toutes les demeures de leur entourage. Elle observe, s’extasie ou s’indigne selon les jours, converse avec les femmes ottomanes et met sa plume au service des débats idéologiques qui les animent.
Marc Hélys, qui s’était déjà fait l’écho des revendications féminines en fournissant à Pierre Loti le matériau de son roman Les Désenchantées (1906) nous livre, avec Le Jardin fermé, un témoignage exceptionnel sur les « Scènes de la vie féminine en Turquie ».

En rééditant dans notre collection Istanbul de Jadis ce livre injustement tombé dans l’oubli et en le publiant aussi en turc, nous sommes fiers d’apporter notre contribution non seulement à l’histoire des femmes turques mais aussi à la littérature française…
Aksel Köseoglu, Responsable de la Collection « Istanbul de Jadis » des Editions GiTa. 


L’Homme qui assassina, de Claude Farrère




L’Homme qui assassina, chef-d’œuvre « turc » de Claude Farrère, publié en 1907, est un roman de l’ombre et de l’errance.
Monde baroque et mystérieux, qui ensorcelle sur-le-champ Renaud de Sévigné et va définitivement bouleverser sa vie.
Jusqu'où cet attaché militaire près l’Ambassade de France en Turquie va-t-il s’égarer, en compagnie de l’envoûtante Lady Falkland, dans la magie du vieux Stamboul ?
Le livre, entremêlant histoire d’amour, roman d’espionnage, intrigue policière et récit exotique, met en scène un univers romanesque inquiétant, évoqué avec passion par Claude Farrère, celui de la ville d’Istanbul dans les derniers fastes de l’Empire ottoman …
Un roman culte pour les amoureux de l’Istanbul de Jadis…


Un drame à Constantinople, de Leïla-Hanoum



Lorsque la sultane Alié apprend que son époux l’a trahie avec une belle esclave, Ikbal, sa jalousie se déchaîne. Quant à la pauvre laveuse de hammam, Fatma, elle reçoit une mystérieuse corbeille dissimulant  un nouveau-né. Désormais, la haine d'Alié va la poursuivre sans relâche. Complots machiavéliques et péripéties spectaculaires vont donc se succéder, entraînant de nouveaux personnages dans les intrigues manigancées par la sultane. Sa soif de vengeance demeurera-t-elle inextinguible?
La fin du règne d'Abdlülmecit, les relations franco-ottomanes, l’avènement d'Abdülaziz, ses réformes, son voyage en France, sa rencontre avec l’Impératrice Eugénie, sa mort suspecte…
 Ce roman, écrit en 1879, par une Française ayant vécu à Istanbul dans les proches du palais, offre un récit palpitant mais aussi une vision orientaliste de la femme ottomane, à travers l’imagination débridée de la romancière.
Un chef-d’œuvre de la littérature de harem…



Et dans quelques jours, le quatrième volume de la série, La Rive d’Asie, Amours et Harem,  de Claude Anet.


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