Quand
j’entends le nom d’Andreï Makine, académicien depuis 2016, me revient toujours en mémoire la fascination
que j’avais jadis éprouvée en découvrant son roman Le Testament français,
que j’avais considéré comme un chef-d’œuvre
et qui fut d’ailleurs couronné de plusieurs prix littéraires…
L’Archipel
d’une autre vie est un roman original débutant par le récit à
la première personne d’un jeune géomètre russe, orphelin, « enfant de taulards
» qui, dans les années 1970, a été sélectionné pour devenir géomètre et part
effectuer un stage en Sibérie, près de la ville de Nikolaïevsk, non loin d’un
océan qu’il ne voit jamais. Arrivé à Tougour, près du lieu de son stage, où il
est un peu oublié par ses supérieurs, il voit descendre d’un hélicoptère un
voyageur mystérieux qui s’éloigne à pied dans la taïga. Il entreprend alors de
suivre…
C’est ainsi que commencera un second
récit à la première personne, enchâssé dans le premier, qui raconte l’histoire
de Pavel Gartsev.
Qu’ai-je fait après avoir lu une
cinquantaine du roman ? Je suis vite allée consulter une carte pour voir où se
passait exactement l’intrigue.
Vous
pouvez voir une marque orange désignant (approximativement) l’emplacement de la
ville de Nikolaïevsk et une marque rouge
placée au-dessus de l’archipel des Chantars, où se déroule une partie de
l’action.
Le récit de Gartsev
effectue un retour en arrière en 1952 et raconte comment, jeune militaire, il a
participé à de terribles opérations de simulation d’une Troisième Guerre
mondiale. Un épisode poignant, marqué par la mégalomanie, les mensonges et le
sadisme des supérieurs hiérarchiques du
jeune homme, qui, sous prétexte de tester son endurance lors d’une
éventuelle attaque atomique, lui imposent
des manœuvres assimilables à des sévices le
conduisant au seuil de la mort.
Jusqu’au jour où on les
affecte, lui et quatre de ses camarades, à une nouvelle mission :
poursuivre un criminel qui vient de s’évader d’un camp de prisonniers.
Commence alors une sauvage
chasse à l’homme dans la taïga, qui conduit le lecteur époustouflé de rebondissements en rebondissements…
Photo Internet merci aux auteurs |
L’auteur dit à ce propos : « C’est un évadé astucieux parce qu’il vit en symbiose
avec la nature, il est né dedans. Chaque arbre est son ami, chaque aiguille de pin
est son allié. Il joue tous les tours à ces cinq soldats qui sont d’abord effrayés,
puis, amusés par ses astuces ».
Ce qui m’a fascinée dans ce livre,
finalement, c’est moins l’histoire des hommes, si passionnante soit-elle, que
celle de la nature ; les héros de cette histoire ne sont autres que la taïga et l’océan. Les
couvertures se parent de croûtes de glace qui se brisent au réveil, les pattes
des loups ou des lynx laissent des empreintes sur la neige, on se colle des
plaques de lichens sur la poitrine pour se protéger du froid. Le souffle
épique qui sous-tend le roman s’amplifie dans la dernière partie, se déroulant
dans l’archipel des Chantars et offrant d’impressionnantes descriptions de
l’océan :
« A l’approche de cet îlot, la mer fut
éventrée, découvrant des boyaux de flux qui s’emmêlaient, bouillonnaient,
formaient des ondes contraires. Notre radeau tourniqua, telle une brindille
dans un ruisseau et soudain ralenti dans un répit inexplicable, évitant les
rochers et ses nuées d’oiseaux marins… L’île s’approchait à une vitesse
tétanisante, se laissant précéder d’une herse de pitons à moitié immergés et de
hautes gerbes de ressac. Et tout droit, devant nous, avançait une muraille de
roche, semblable à la proue effilée d’un paquebot, prête à couper en deux notre
radeau qui se disloquait déjà...»
Photo Internet merci aux auteurs |
Au-delà de l’évocation de la violence
d’une nature vierge Makine donne à son roman une symbolique
existentielle : « Ce citadin de Gartsev est projeté dans un élément
qui lui est complètement étranger… Gartsev se rendra compte qu’il s’agit d’une
remise en question de tout ce qu’il a vécu auparavant, c’était une forme
de mort, un sommeil mortel qu’il avait toujours vécu et il faut être dans ces contrées
désolées et solitaires pour comprendre la valeur de la vue d’autrui… »
Photo Internet merci aux auteurs |
Envoûtée par l’atmosphère des derniers
chapitres, c’est avec regret que je suis arrivée à la dernière page du livre, rêvant
d’océans déchaînés et de maisons de glace…