Article publié dans la
revue Salut ça va de l'université de Blagovechtchensk, en juin 2021
Lien : https://aefra.files.wordpress.com/2021/07/juin-2021.pdf
Aurore Dupin de Francueil,
baronne Dudevant, plus connue sous le pseudonyme de George Sand, est sans doute
la première écrivaine à avoir consacré tant de pages à célébrer sa passion des
jardins.
Portrait par Thomas Sully en 1926Portrait par Charpentier vers 1837
En effet, c’est dans le
domaine de Nohant, dans le Berry, où
elle vit dès l’âge de quatre ans aux côtés de sa grand-mère, Marie-Aurore de
Saxe, qu’elle va découvrir l’amour de la nature, si cher aux auteurs du
Romantisme. « Je vivais libre, heureuse… couverte de terre », dira-t-elle en
parlant de son enfance. Cet aspect de sa personnalité, occulté par le tumulte
de ses multiples liaisons amoureuses ou par le scandale de Lélia, qui
aborde pour la première fois le sujet de la sexualité féminine, est pourtant
essentiel pour la compréhension de son œuvre.
Nohant en 1864Car le domaine de Nohant
et son jardin deviendront vite la métonymie de sa lutte pour son émancipation. Elle
hérite de Nohant à dix-sept ans, à la mort de sa grand-mère ; elle y commence
sa vie d’épouse avec Casimir Dudevant, mais bien vite, lui impose un mode de
vie séparé une partie de l’année, « pour écrire ». C’est à Nohant
qu’elle rédige en 1832, sur un bureau de fortune fait d’une planche clouée dans
un placard, son premier grand succès littéraire, le roman Indiana, dont
les ventes lui permettent de conquérir son indépendance financière et d’imposer
son statut de femme-autrice. Enfin, après ses amours tumultueuses avec Alfred
de Musset et sa difficile séparation légale d’avec son époux -à son époque, le
divorce est interdit et elle doit aussi lutter pour reprendre tous ses droits légaux
sur Nohant- c’est là qu’elle revient s’installer avec ses enfants en 1837, à
l’âge de trente-trois ans, pour se mettre à « cultiver son jardin » et composer
une œuvre immense, parfois injustement oubliée, comportant soixante-dix romans,
des essais, des pièces de théâtre et divers articles.
Photo Maison Geroge Sand
C’est aussi là qu’elle va
trouver le bonheur au jardin : « Je travaille à la terre quatre ou
cinq heures par jour avec une passion d’abruti et j’ai fait un jardin à ma
fantaisie dans mon petit bois »… Paroles
surprenantes, à cette époque, sous la plume d’une femme d’origine
aristocratique…
Un jardin pour rêver
Le jardin de Nohant
comporte environ cinq hectares mais il reflète le monde intérieur de
l’écrivaine. Tout d’abord, devant la maison
se tient une cour d’honneur avec des massifs de fleurs et d’arbustes. Puis, vers
l’est de la bâtisse, il comporte d’une part, un potager avec une serre, un
puits et un atelier, et de l’autre, un verger. Au-delà du verger s’étendent des
prairies et un bois tapissé de mousse, composé d’érables, de frênes, de
tilleuls et de lilas, où se trouve une petite île et une maisonnette surnommée « le
Pavillon Flaubert », où logeaient les invités souhaitant préserver leur
indépendance.
Photo des Monuments nationaux
En effet, Georges Sand
reçoit beaucoup et fait déguster à ses amis les produits de son domaine. Sa
liberté et son modernisme ne l’empêchent pas d’endosser à la perfection le rôle
de maîtresse de maison, elle est une excellente cuisinière et affirme adorer
les « soins domestiques.»
Pour embellir son jardin,
George Sand, passionnée par les sciences naturelles, effectue des recherches en
botanique, apprenant même le nom latin des plantes et confectionnant des herbiers.
On sait qu’elle cultive une multitude de fleurs, comme l’atteste sa
correspondance : « Bouquet cueilli
au jardin : roses du Bengale, roses thé blanches et couleur de chair, réséda,
giroflée double violette, une scabieuse…violettes, roses noisettes, verveine,
valériane, mufliers, primevères, pervenches dans le bois, une dernière rose
trémière, laurier-thym, fleurs de fraisier caperon, feuilles de lierre nuancées
de rouge et de jaune… », écrit-elle le 18 décembre 1852.
Photo Berry Province
Mais surtout, ses
recherches lui permettent de devenir une jardinière moderne, car elle a planté sur
sa terre plus de cents espèces importées et même des plantes exotiques qu’elle
essaye d’acclimater en recréant leur milieu d’origine. En 1851, lorsqu’elle fait
installer le calorifère dans sa demeure, elle en profite pour chauffer sa
serre, ce qui lui permet de cultiver des orangers et même des ananas. Sa
conscience écologique est si développée que certains de ses textes pourraient
avoir été écrits aujourd’hui. A l’instar des Romantiques, George Sand n’est pas
attirée par les jardins trop disciplinés, elle affectionne « le jardin anglais
», proche de la nature. Pour elle, le jardin doit être sauvage et propice à la
rêverie, elle laisse se développer les plantes « indépendantes, qui ne se
plient pas à nos exigences » et passe de longs moments à se promener dans
son bois où poussent les herbes folles. Son jardin est si beau qu’en 1840,
Delacroix l’a immortalisé dans le tableau, Le Jardin de George Sand à Nohant.
Le plaisir de jardiner
Grande lectrice de
Rousseau, George Sand effectue en 1863, le pèlerinage aux Charmettes, la maison
où Rousseau demeura avec Madame de Warens, celle où il connut « le court
bonheur de [sa] vie », en s’adonnant aux joies du jardinage. Aux Charmettes,
George Sand est si émue qu’il lui semble éprouver le phénomène de la
réminiscence. Elle se sent en parfaite communication avec son illustre
prédécesseur ; comme lui, elle va « vivre dans la nature ».
Nous connaissons très
bien l’emploi du temps de George Sand, d’après son autobiographie Histoire
de ma vie, mais surtout par sa correspondance, ses nombreux agendas et
aussi par le journal tenu par son dernier compagnon, Alexandre Manceau, qui, à
partir de 1852, raconte tout ce que fait celle qu’il nomme « Madame ». Ces
témoignages montrent qu’elle consacre quotidiennement une grande partie de son
temps au jardin ; selon sa propre expression, c’est « avec
fureur » qu’elle jardine. « Je sème, je plante, je fume mes
plates-bandes, je fais des massifs, j’enfonce des pieux, je relève des murs, je
fais venir de la terre légère d’une demie-lieue. Je suis en sabots toute la
journée et ne rentre que pour dîner », explique-t-elle.
Photo du site Mon carnet George Sand
L’inspiration au jardin
La jardin va bien vite
constituer une source d’inspiration pour l’écriture. Car c’est en se livrant à
ses travaux bucoliques qu’elle conçoit de nouveaux projets littéraires : « Je
travaille donc moins longtemps le papier mais plus vite et avec plus de facilité.
» A certains moments, elle en vient même à penser qu’elle éprouve « plus
de plaisir à jardiner qu’à écrire ». L’imagination se déploie dans la nature
autant que sur la feuille de papier. « Il y a des heures où je m’échappe
de moi, où je vis dans une plante, où je me sens herbe, oiseau, cime d’arbre,
nuage, eau courante, horizon, couleur, formes et sensations changeantes,
mobiles, indéfinies… », écrit-elle
en 1873, trois ans avant sa mort.
Photographie par Nadar
Au fil des ans, même l’intérieur
de sa maison est peu à peu devenu comme un prolongement ou un reflet de son
jardin : « Souvent, je dors dans un hamac. Mes livres, mes herbiers,
mes boîtes à papillons, mes cailloux, encombrent la pièce et un petit panneau
qui s’encastre dans la boiserie me sert de secrétaire. Tout mon univers est là.
» Cette inspiration apportée par la nature fait d’elle un des seuls écrivains à
avoir choisi le monde rural comme sujet favori de leur œuvre. Elle dédie le
premier de ses « romans champêtres », Jeanne, à une paysanne
travaillant chez elle comme servante. Elle est la première à prouver que les
paysans peuvent devenir des héros de romans ; l’amour de la nature la
conduit progressivement à un engagement social et politique idéaliste…
En définitive, George
Sand ne quittera jamais son jardin puisqu’elle y repose pour l’éternité dans le
petit cimetière familial. L’article du Figaro publié après son enterrement écrit,
en guise d’épitaphe : « Elle dormira, calme et
respectée, au pied du mur de son cher jardin de Nohant, témoin de ses premiers
pas et de ses dernières promenades, au milieu de ces paysans amis dont elle a
été la bienfaitrice et dans son Berry bien-aimé, dont elle sera la gloire… »
Sources pour cette article, bibliographie :
- Michelle Perrot, George
Sand à Nohant. Une maison d’artiste, Paris, Éditions du Seuil, 2018.
-Christiane Sand, Le Jardin
romantique de George Sand, Albin Michel, 1995.
-France culture : George
Sand, vie singulière d’une auteure majuscule, par Delphine Saltel,
2.08.2017.
-Jardins de France n. 656,
« Jardins d’écrivains, jardins d’artistes » : A Nohant,
le jardin de George Sand , par Sylvie Jehl, 2019.
-Site « Mon carnet
George Sand » :
https://moncarnetgeorgesand.fr/