A la recherche du Temps perdu commence dans une chambre où l’on se réveille de
bonne heure et se termine sur la chambre du Temps… En effet, la chambre est une
sorte de métonymie de l’écriture de Marcel Proust (1871-1922) ; « chapelle
mystérieuse », elle occupe une place prépondérante d’un bout à l’autre de
l’œuvre.
Reconstitution de la chambre de Proust au Musée Carnavalet |
Asthmatique
dès l’âge de neuf ans, Marcel Proust est un enfant couvé par ses parents ; son père,
Adrien Proust, célèbre professeur de médecine, est conseiller du
gouvernement pour les épidémies. Pour éviter au petit Marcel les crises
d’allergies, on lui interdit les sorties à la campagne mais il effectue des
séjours au bord de l’eau, en Normandie, en particulier à Trouville et Cabourg.
Après
la mort de ses parents, la santé de Proust se détériore encore et il va
s’enfermer pendant quinze ans, pour lutter contre l’asthme mais surtout pour
écrire !
Vous pouvez deviner dans quelle détresse
je me trouve, écrit Proust à une amie, vous qui m’avez vu les oreilles et le
cœur toujours aux écoutes vers la chambre de Maman où sous tous les prétextes
je retournais sans cesse l’embrasser, où maintenant je l’ai vue morte, heureux
encore d’avoir pu l’embrasser encore. Et maintenant la chambre est vide et mon
cœur et ma vie…
Obligé
de déménager, il sous-loue à sa tante un
appartement au 102, Boulevard Hausmann et s’y installe en 1906. Pour écrire
sans être dérangé, il fait tapisser sa chambre de plaques de liège qui
amortissent les bruits, n’ouvre pas les volets et ferme hermétiquement les
tentures de satin bleu. D’ailleurs, généralement, il vit la nuit et dort le
jour, se nourrit peu mais, pratiquant l’automédication, abuse de café, de
sédatifs comme le célèbre Véronal de l’époque mais aussi de morphine, alors en
vente libre, qu’il s’injecte lui-même pour calmer son asthme.
La
pièce est glacée car, malgré sa frilosité,
il refuse que l’on allume le chauffage, redoutant de dessécher
l’atmosphère. Cloîtré
pour écrire, il se déclare « marié avec son œuvre ».
Moi, l'étrange humain qui, en attendant que la mort le délivre, vit les volets clos, ne sait rien du monde, reste immobile comme un hibou et comme celui-ci ne voit un peu clair que dans les ténèbres. Sodome et Gomorrhe, 1921
Céleste Albaret dans la chambre de Proust |
Céleste
Albaret, la gouvernante mais aussi confidente, qui a partagé les huit dernières
années de sa vie, a témoigné en 1970 sur le mode de vie de Proust au moment où il est
en pleine élaboration de son œuvre. Il écrit allongé, les genoux relevés, le
manuscrit posé sur les genoux, enveloppé dans des couvertures. A côté du lit, sur une petite table en palissandre, se
trouvent son encrier et une quinzaine de porte-plume avec des plumes sergent-major.
Il ne sort plus que la nuit, rarement, emmitouflé dans un manteau à col de
loutre et doublé de vison, pour aller dîner au Ritz ou partir en quête de
brèves aventures amoureuses.
C’est
Céleste qui donne à Proust l’idée des fameuses « paperolles », des bouts de
papier collés sur le texte quand l’auteur veut effectuer un ajout, et les lui
confectionne.
En
1919, un nouveau déchirement pour l’écrivain ! Il doit encore déménager, sa
tante vendant l’immeuble où il réside, et se séparer cette fois de son mobilier
familial. Il s’installe de juin à octobre 1919 dans l’appartement où avait
habité l’actrice Réjane, inspiratrice du
personnage de La Berma, rue Laurent-Pichat et ensuite au 44, Rue Hammelin, un «
ignoble taudis », à ses dires, où il demeurera jusqu’à sa mort.
C’est
Céleste qui sera le témoin de la fin de l’œuvre :
Il est arrivé une grande chose cette
nuit. C’est une grande nouvelle... Cette nuit, j’ai mis le mot "fin"... .Maintenant je peux mourir... Mon œuvre peut paraître.
Je n’aurai pas donné ma vie pour rien...
Tombe de Proust au Père Lachaise |
C’est
bien dans une chambre confinée qu’est née en quinze années la « cathédrale » d'A la recherche du Temps perdu, une des plus grandes œuvres de la littérature mondiale