La
nouvelle est tombée ce matin, Tahsin Yücel n’est plus !
Décédé
à l’âge de 83 ans, le maître, diplômé du Lycée de Galatasaray et d’un Doctorat de
littérature française de l’Université d’Istanbul, où il avait ensuite exercé le
métier de professeur, est l’auteur d’une œuvre immense, comportant critiques littéraires, romans,
nouvelles, essais et traductions de grands écrivains français.
Photo du journal Radikal
Auteur
d’une quinzaine de romans et recueils de nouvelles, qui passent au crible la
société turque de la seconde partie du XXe siècle et se livrent à la satire de
la société de consommation et du profit, dans une langue moderne et originale, Tahsin
Yücel était l’une des figures de proue des lettres turques du XXe siècle.
On
peut lire en français, en particulier Vatandas
(traduction de Noémi Cingoz, Editions du Rocher, 2004), Les cinq derniers jours du prophète, qui
a reçu en 1993 le prix littéraire Orhan Kemal ((traduction de Noémi Cingoz,
Editions du Rocher, 2006), La Moustache
(traduction de Noémi Cingoz, Actes Sud, 2009), Sous le soleil de Bernanos, Itinéraire en Artois avec Tahsin Yucel,
réalisé par Timour Mudidine en collaboration avec le photographe Philippe
Dupuich (Temps présent, 2010) et le
roman Le Gratte-ciel (traduction de
Noémi Cingoz, Actes Sud, 2012)…
Les cinq derniers jours du prophète, sont le récit de la dégradation physique d’un
poète rebelle surnommé « le prophète » et qui croit que ses rêves
vont se réaliser...
La Moustache
est une fable philosophique racontant comment la moustache de Cumali devient un
symbole pour un village tout entier...
Le Gratte-ciel est une fiction
satirique qui nous projette en 2073 : un magnat de l’immobilier, qui a
édifié un nombre incalculable de gratte-ciels, voit son nouveau projet
contrecarré par un vieil homme, petit propriétaire d’une parcelle jouissant
d’un merveilleux panorama, qui refuse de lui vendre son bien… Pour le faire
plier, tous les moyens machiavéliques seront bons...
La
littérature française doit une fière chandelle à Tahsin Yücel qui a traduit en
turc plus de 70 livres d’auteurs français dont Balzac, Flaubert, Gide, Proust,
Camus, Malraux, Desnos, Queneau, pour n’en citer que quelques exemples.
En
décembre 2012, Tahsin Yucel avait reçu le prix littéraire France-Turquie, pour
l’ensemble de son œuvre et en particulier pour son roman Le Gratte-ciel.
En 2013, le
journal Aujourd’hui la Turquie publiait un article où le grand écrivain
expliquait son amour de la langue française (propos recueillis par Ayşıl
Akşehirli et Benoît Berthelot en mars 2011) :
J’ai terminé l’école primaire en 1945,
une belle époque ou de nombreuses bourses étaient accordées aux écoliers sans
moyens financiers. J’ai perdu mon père à l’âge de 1 an, nous n’étions pas
riches. J’ai très bien réussi l’examen écrit national, et deux mois après je
recevais une lettre m’annonçant que je pouvais poursuivre mes études au Lycée
francophone de Galatasaray. Ça a été la plus grande chance de ma vie. J’y ai
passé huit ans, comme interne. Puis j’ai voulu continuer mes études en
philologie française, mais il me fallait de l’argent. Comme je publiais déjà
quelques articles dans une revue littéraire, le patron m’a proposé de
travailler par demi-journées pour sa maison d’édition. Je traduisais du
français au turc, j’avais toujours un livre sur la table. Je traduisais même
chez moi ! Je pense avoir traduit 70 livres dans ma vie, personne n’a autant
traduit le français que moi en Turquie. J’ai arrêté il y a cinq ans. Et j’ai
pris ma retraite de professeur au début de ce siècle.
Etre francophone c’est d’abord connaître la langue, mais pour moi ce
n’est pas seulement ça. A partir de la langue il y a la culture, le pays, le
peuple. Moi qui suis écrivain et romancier turc, j’ai lu beaucoup plus de
romans et d’études en français qu’en turc. C’est un fait, et ce n’est pas
seulement lié à ma profession. Dans ma vie, le français occupe une très grande
place. C’est une partie de mon existence.
En
2010, ma précieuse photo avec Tahsin Yücel…
Paix
à l’âme de Tahsin Yücel, connu non seulement pour son œuvre mais aussi pour sa
gentillesse, son sourire, sa tolérance et sa modestie.
Que repose en paix ce grand écrivain turc
lauréat de nombreux prix, expert en littérature française et dont l’œuvre
«colossale» ne peut que susciter une
admiration sans borne…
Le dernier voyage de Tahsin Yücel, sous la neige, samedi 23 janvier, à la mosquée de Sisli, Istanbul...