Mardi 8 novembre 2022 a
eu lieu à Istanbul, au lycée Notre-Dame de Sion, le vernissage de l’exposition
« La musique portée par le roman, Regards croisés sur Proust et Tanpınar », qui
présente, en miroir, des extraits de textes de Marcel Proust et d’Ahmet Hamdi Tanpınar
, ainsi que des collections de photos et de portraits et durera jusqu’au 8
décembre 2022.
Le spectacle-piano de
Marie-Christine Barrault et Franck Ciup
Cette manifestation
littéraire organisée en hommage à Marcel Proust pour le centenaire de sa mort,
a été marquée par un envoûtant « Spectacle piano littéraire », dans lequel
Marie-Christine Barrault lisait, avec une superbe interprétation, des extraits
choisis de Marcel Proust, en alternance avec des morceaux composés pour
l’occasion par le pianiste Franck Ciup, par référence à la fameuse Sonate de
Vinteuil, œuvre imaginaire créée par Proust à partir de compositions qu’il
aimait. Les fins mélomanes ont pu reconnaître dans les interprétations du
pianiste des extraits des Scènes d’enfants de Robert Schumann, de la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel, mais aussi de deux œuvres utilisées en leitmotiv, A Chloris,
de Reynaldo Hahn, utilisé six fois, et le
fameux Clair de lune, de Claude Debussy. Le tout était d'une
poésie extrême, tellement beau que l'on aurait souhaité que le concert ne
finisse pas…
L’exposition « La musique portée par le roman, Regards
croisés sur Proust et Tanpınar »
La curatrice, Aylin
Koçiyan, a fait appel à de nombreux spécialistes pour réaliser l’exposition.
C’est en ces termes qu’elle définit son travail : « L’objectif de l’exposition
« La musique portée par le roman » est d’apporter un regard croisé sur la
manière avec laquelle la musique revient comme un leitmotiv dans l’œuvre
colossale de Marcel Proust (1871-1922), A la recherche du temps perdu,
publiée en sept tomes de 1913 à 1927, et dans le roman-fleuve d’Ahmet Hamdi Tanpınar
(1901-1962). Notre travail explore comment la musique émerge comme une
expérience intime et existentielle permettant à l’individu d’atteindre
l’essence et la profondeur de l’être et des choses, ainsi que comme un langage
universel, seule capable de traduire l’indicible, l’ineffable… »
La musique chez Proust et
Tanpınar
La Sonate de Vinteuil de
Proust
A la Recherche du Temps perdu, permet à Marcel Proust de créer, à partir de personnages qu’il a connus dans sa vie, des figures d’artistes imaginaires comme le musicien Vinteuil, l’écrivain Bergotte et le peintre Elstir.
Dans Un Amour de Swann, une « petite phrase » de la Sonate de Vinteuil, devient « l’air national » de l’amour entre Charles Swann et Odette de Crécy. Dans un des passages-clés du roman, lorsque Odette s’éloigne de Swann pour lui préférer le comte de Forcheville, lors d’un concert chez la marquise de Saint-Euverte, Swann entend la fameuse sonate dont la « petite phrase » ressuscite toutes les sensations de son passé avec Odette, tous « les refrains oubliés du bonheur », dans un merveilleux texte devenu un des symboles de Proust :
Mais tout à coup ce fut comme si elle était entrée, et
cette apparition lui fut une si déchirante souffrance qu'il dut porter la main
à son cœur. C'est que le violon était monté à des notes hautes où il restait
comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans qu'il cessât de les
tenir, dans l'exaltation où il était d'apercevoir déjà l'objet de son attente
qui s'approchait, et avec un effort désespéré pour tâcher de durer jusqu'à son
arrivée, de l'accueillir avant d'expirer, de lui maintenir encore un moment de
toutes ses dernières forces le chemin ouvert pour qu'il pût passer, comme on
soutient une porte qui sans cela retomberait. Et avant que Swann eût eu le
temps de comprendre, et de se dire : « C'est la petite phrase de la sonate de
Vinteuil, n'écoutons pas ! » tous ses souvenirs du temps où Odette était éprise
de lui, et qu'il avait réussi jusqu'à ce jour à maintenir invisibles dans les
profondeurs de son être, trompés par ce brusque rayon du temps d'amour qu'ils
crurent revenu, s'étaient réveillés et, à tire-d'aile, étaient remontés lui
chanter éperdument, sans pitié pour son infortune présente, les refrains oubliés
du bonheur.
Le Mahur Beste de Tanpınar
Dans sa trilogie
romanesque, Huzur, en 1949, Sahnenin Dışındakiler, en 1973 et Mahur
Beste, en 1975, à l’instar de Proust, Ahmet Hamdi Tanpınar -dont certains livres sont traduits en
français par Actes Sud, dont L’Institut de remise à l’heure des montres et des
pendules, ou le merveilleux Pluie d’été – utilise le thème récurrent du « Mahur
Beste », du compositeur turc du XVIIe siècle, Ebubekir Ağa.
PS : j’ai eu la
chance de réaliser, le lendemain du concert, un entretien sur son travail avec le
pianiste et compositeur Franck Ciup, vous pourrez bientôt le lire dans le Petit Journal d'Istanbul…