Article de Gisèle Durero-Koseoglu
Je ne connaissais pas encore ce roman que Primo Lévi avait pourtant désigné comme « le plus beau livre sur la résistance au Nazisme ». Mais je dois dire que sa lecture fut une expérience de choc.
Je ne connaissais pas encore ce roman que Primo Lévi avait pourtant désigné comme « le plus beau livre sur la résistance au Nazisme ». Mais je dois dire que sa lecture fut une expérience de choc.
En 1933, l’écrivain allemand Hans
Fallada, qui a emprunté son pseudonyme à un personnage des Frères Grimm et a
déjà atteint la notoriété, après une
incarcération de quelques jours due à des propos contre le pouvoir, décide de se
faire oublier en se consacrant aux ouvrages de distraction. Mais cela ne
l’empêche pas d’écrire en 1946, Le Buveur,
roman autobiographique et surtout Seul
dans Berlin, avant de mourir subitement d’une crise cardiaque l’année
suivante.
Personnellement, vu la maîtrise dans la
construction du récit, la finesse de l’analyse psychologique et le compte-rendu des
faits politiques, j’ai bien du mal à croire qu’un tel chef-d’œuvre de
760 pages en édition Folio ait pu être « écrit en 24 jours en 1946 »
comme l’indiquent certains sites Internet. Mon sentiment est que l’auteur l’a
plutôt élaboré en secret pendant toute la période de la guerre, en s’inspirant
de l’atmosphère délétère du quotidien, pour procéder à une dernière mise en
forme en 24 jours en 1946. Mais il est vrai aussi que le sentiment d’urgence
pousse parfois le talent au-delà des limites du possible…
Car Hans Fallada y décrit avec un
hyperréalisme douloureux les procédés employés par la dictature pour asseoir
son pouvoir : terreur exercée par les affiliés au régime sur leurs voisins
qu’ils espionnent, tortures, procès iniques, exécutions sommaires. Ce que le
héros du roman Otto Quangel, vieil ouvrier fatigué par le labeur, résume en une
phrase : « Vous savez très bien que… le criminel est libre mais que l’homme
convenable est condamné à mort ».
Le sujet : l’ouvrier Otto Quangel, dont
le fils a perdu la vie au front décide, en 1941, d’entrer en résistance en
déposant clandestinement dans les halls
d’immeubles des cartes postales dénonçant la politique d’Hitler. Sa femme, Anna,
le cœur brisé par la perte de son fils, le soutient et l’aide dans son action. Les policiers du régime vont déployer tous les
moyens pour démasquer le coupable ; car c’est leur propre survie qui est en jeu s’ils ne réussissent
pas leur mission. En effet, dans une infernale chaîne, chaque maillon de la
hiérarchie persécute son subordonné et se fait lui-même anéantir par son
supérieur.
Au début, personne ne pourrait
soupçonner qu’Otto Quangel, contremaître bourru et taciturne soit le
trouble-fête recherché par toutes les polices de Berlin. Mais après
l’arrestation du couple Quangel, tous ceux et celles qui les ont approchés sont
impitoyablement conduits à la mort. Dans un avertissement au lecteur, Hans
Fallada explique qu’il s’inspire de faits réels
et que ça ne lui a pas plu « de dresser un tableau si sombre »
mais que « plus de lumière aurait signifié mentir ».
La lecture de ce roman fait mal car on
se demande à chaque page comment les hommes peuvent perdre leur esprit critique
au point de s’avilir dans de telles compromissions ou cruautés pour conserver
un privilège, fût-il minime. La dignité et l’honnêteté d’Otto Quangel, a priori « homme ordinaire » sont telles qu’elles finissent par susciter le
doute voire l’admiration chez certains de ses bourreaux.
Un roman terrible, d’une portée
universelle car il effectue la vivisection d’un cauchemar politique ; il dévoile
les rouages, la férocité et la face cachée de la dictature qui ne se
contente pas d’éliminer ses opposants mais finit par anéantir ses propres partisans.
Un roman aussi sur le courage de tous
ces « héros anonymes », qui, au fil de l’Histoire, ont tenté, dans
les ténèbres, de sauvegarder
l’humanisme.
Vous pouvez aussi lire mon blog : Gisèle, écrivaine d'Istanbul
http://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/
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