C’est au
mois de mai 2019 que j'ai eu le plaisir et l'honneur de participer au reportage
de la chaîne Arte, "Simenon à Istanbul", destiné à l'émission
"Invitation au voyage". Le temps était très orageux ce jour-là, et
nous avons bien souvent failli nous envoler sur le pont du bateau.
Mais ce
fut une belle journée, en compagnie de Chenel Kilinç, l’organisatrice à
Istanbul (à gauche), Anne Gautier, la réalisatrice (à droite), et Gabriel,
le cameraman.
Simenon à Istanbul
Georges
Simenon, auteur de 192 romans et 158 nouvelles, vient à Istanbul du 1 juin au
19 juillet 1933. Arrivé de Marseille sur le paquebot Angkor, il veut effectuer,
pour le quotidien Paris-Soir, une interview de Léon Trotsky qui est exilé
depuis 1929 sur l’île de Buyuk Ada. Le 6 juin, Simenon prend le
bateau et part rencontrer Trotsky, qui, redoutant un assassinat, vit
cloîtré dans une pièce entourée de livres et ne sort du manoir que pour
aller à la pêche, comme le montrent les journaux turcs de l'époque...
Ensuite, Simenon se rend à Odessa,
Batoum et Trabzon pour découvrir le monde soviétique puis revient à Istanbul et
Ankara, où il prend plus de quatre cents photos. « Le tout début d’un
roman, la graine, est un fait d’observation dans la rue », dit-il.
Comme pour Zola avant lui, les photos constitueront une formidable source d'inspiration
pour ses romans...
Le séjour
stambouliote inspira à Simenon, qui y logeait au célèbre hôtel Pera Palas,
plusieurs œuvres, dont le roman Les
Clients d’Avrenos, traduit en turc par Cetin Altan en 1949, qui faisait
l’objet de l’émission.
Un résumé de ma présentation du roman Les Clients d’Avrenos
Les
endroits que Simenon choisit de décrire à Istanbul ne sont pas
vraiment symboliques de la ville en 1933 mais plutôt des lieux
appartenant au vieil Istanbul d’avant la république et qui ont déjà été évoqués
dans les Voyages en Orient. Dans le roman Les
Clients d’Avrenos, on semble
très loin de la Turquie d’Atatürk et de la jeune république ; car en 1933,
cela fait déjà 10 ans que la république existe, toutes les grandes réformes ont
déjà été réalisées mais Simenon n'en parle jamais. Pour Simenon, Istanbul
en 1933, c’est une ville où on loge au Pera Palas, où on se promène en caïque
de nuit sur le Bosphore et aux Eaux-Douces d’Asie, où
on va pratiquer le kief, s’enivrer, fumer du haschich dans un vieux
"yali" du Bosphore ; c’est une image d’Istanbul déjà obsolète à
son époque, une vision subjective nourrie par les récits
d’écrivains-voyageurs.
Simenon décrit un monde en déliquescence, avec des
personnages marginaux en décalage avec la nouvelle république ; ils
appartiennent à la Turquie d’avant, ce sont des hommes de l'ancien monde, des
beys, des pachas, qui ont perdu leur fortune, comme Mufti
bey qui « avant la révolution, possédait plusieurs palais sur le
Bosphore et des terrains immenses ». Cette dégringolade sociale les
transforme en noceurs exclus de la nouvelle société qui se caractérise au
contraire par la volonté des intellectuels de s'impliquer dans la nouvelle
Turquie d'Atatürk. Quant au héros masculin, Jonsac, âgé
de la quarantaine, accompagné de la danseuse Nouchi, il se définit comme
« une sorte de raté qui traîne sa bohème ». Redoutant la solitude, il
ne parvient pas à échapper, même s’il le souhaite, à l'emprise des membres
du groupe qui le poussent à mener une vie de "patachon". Sa crise existentielle
semble une métonymie de la crise de l’Europe en proie à
la montée des fascismes en 1933.
Pour visionner la vidéo de l'émission, cliquer sur la barre blanche :
https://www.arte.tv/fr/videos/093095-000-A/a-istanbul-les-mauvaises-frequentations-de-simenon/
Mon autre blog, Gisèle Durero-Koseoglu, écrivaine d'Istanbul
http://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/
Mon autre blog, Gisèle Durero-Koseoglu, écrivaine d'Istanbul
http://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/