La
fausse lettre de « confinement » de Madame de Sévigné diffusée sur les réseaux
sociaux (joli pastiche élaboré par
Jean-Marc Banquet d’Orx, dans lequel l’épistolière écrivait à sa fille pour lui
parler d’une épidémie, et si bien écrit qu’à première lecture, nombreux sont
ceux et celles qui sont tombés dans le piège !) permet de rappeler, qu’en
réalité, à l’époque de la marquise, et aussi au siècle suivant, on vit dans la
terreur des épidémies !
En particulier celles de « La Petite Sœur », c'est-à-dire
la variole, alors appelée « petite vérole ».
Marie de Rabutin-Chantal, Marquise de Sévigné, peinte par par Lefebvre en 1665 |
Plusieurs fois, la marquise parle
à sa fille, Françoise de Grignan, de la maladie et lui donne des conseils pour qu’elle se tienne
éloignée des lieux contaminés et ne risque pas de gâter sa beauté de « plus jolie fille de France » !
Madame de Grigan peinte par Mignard en 1669 |
En
voilà quelques exemples :
6
mai 1671 : Mais, ma bonne, pourquoi avez-vous été à Marseille ? Monsieur de
Marseille mande ici qu’il y a de la petite vérole : puis-je avoir un moment de
repos que je ne sache comme vous vous portez ?
5
août 1671 : Je vous conjure, ma chère bonne, de vous bien conserver ; et s’il y
avait quelques enfants à Grignan qui eussent la petite vérole, envoyez-les à
Montélimar : votre santé est le but de tous mes désirs…
25
novembre 1671 : J’ai appris par mes lettres de Paris la mort de votre premier
président… Je ne sais comment je n’ai pas eu l’esprit de vous conseiller ce que
vous avez fait, moi qui craignais également de vous voir affronter la petite
vérole à Aix, ou retourner sur vos pas à Grignan : il n’y avait qu’à ne bouger
d’où vous êtes ; vous avez pris le bon parti…
18
décembre 1671 : M. de Coulanges m’attend pour m’amener chez lui, où il dit que
je loge, parce qu’un fils de Madame de Bonneuil a la petite vérole chez moi.
Elle avait dessein très-obligeamment d’en faire un secret, mais on a découvert
le mystère…
10
février. 1672 : Ma chère fille, après bien des alarmes et de fausses
espérances, nous avons perdu le pauvre Chevalier… La fièvre le prit en venant
de Paris, et la petite vérole, avec une telle corruption, qu’on ne pouvait
durer dans sa chambre…
13
avril 1672 : Vous m’obéissez pour n’être point grosse, je vous en remercie de
tout mon cœur ; ayez le même soin de me plaire pour éviter la petite vérole…
5
février 1674 : On avait cru que Mademoiselle de Blois avait la petite vérole,
mais cela n’est pas. On ne parle point des nouvelles d’Angleterre ; on juge par
là qu’elles ne sont pas bonnes. On a fait un bal ou deux à Paris dans tout le
carnaval ; il y a eu quelques masques, mais peu. La tristesse est grande…
24
juillet 1675 : Mme de Montlouet a la petite vérole : les regrets de sa fille
sont infinis ; la mère est au désespoir aussi de ce que sa fille ne veut pas la
quitter pour aller prendre l’air, comme on lui ordonne…
On
voit que les épidémies sont une constante préoccupation pour la marquise. Car
si tout le monde ne meurt pas de la maladie, dont la létalité est très élevée,
ceux qui en réchappent restent marqués à vie ! Mademoiselle de Lespinasse, la
Princesse Palatine, Mirabeau, font partie des « grêlés » ! Louis XIV, Voltaire,
Chateaubriand, Goethe, contractèrent la maladie sans toutefois en conserver les
stigmates.
Madame
de Sévigné a-t-elle eu le pressentiment que la variole causerait des ravages
dans sa famille ? Car la petite vérole
emporta non seulement l’épistolière en personne à Grignan en 1696, mais aussi
son petit-fils Louis-Provence de Grignan en 1704 et sa fille Françoise 1705 à
Marseille !
De
quelques « grêlés » célèbres…
Lorsque
Julie de Lespinasse, après avoir quitté le salon de Madame du Deffand,
s’installe dans la demeure où elle passera les douze dernières années de sa
vie, se produit un événement tragique : elle contracte la petite vérole ! Elle
avait refusé l’inoculation, croyant déjà avoir attrapé la variole dans sa
jeunesse. C’est D’Alembert, qui, au mépris de la contagion, se met à la veiller
jour et nuit : « Elle est assez marquée de la petite vérole, écrit-il à Hume,
mais sans en être défigurée le moins du monde »… Puis, il tombe malade
lui-même, frôle la mort et c’est au tour de Julie de le veiller : « Il faut, écrit-il, que le diable, qui nous
guette l'un et l'autre, ne sache pas son métier… » Au dire des contemporains,
Julie garda sur le visage de telles cicatrices que son teint en fut « gâté »,
ce qui n’éclipsa pas, cependant sa grâce de salonnière…
En
ce qui concerne Voltaire, il contracte la maladie en 1723 et tombe malade au
point de rédiger son testament. Plus tard, dans ses Lettres philosophiques, il consacrera de nombreuses lignes à vanter
l’inoculation.
Quant
à Mirabeau, on disait que sa légendaire laideur était encore accentuée par les
profondes cicatrices de la petite vérole dont il avait souffert dans la petite
enfance…
L’inoculation
Au
XVIIIe siècle, les Turcs pratiquent ce que l’on nomme l’inoculation, ancêtre de
la vaccination, procédé sans doute venu de Chine. En 1712, un voyageur, Aubry
de la Mottraye, signale que les jeunes Circassiennes sont inoculées : « Les
jeunes Circassiennes sont vendues par leurs parents en vue de peupler les
harems des riches Turcs. Si leur visage n’est jamais grêlé, c’est que les
vieilles du pays les piquent en cinq endroits différents et mêlent au sang de
leurs plaies du pus d’un autre enfant déjà atteint de la petite vérole ».
Inoculation chez les Ottomans |
Quelques
années plus tard, Lady Montaigu, épouse de l’ambassadeur anglais, séjourne à
Istanbul et s’émerveille de voir que l’on y pratique la vaccination contre la
maladie ; elle fait même « inoculer » ses enfants…
Lady Montaigu habillée "à la turque"... |
Le
médecin suisse Tronchin, qui eut les honneurs d’un article dans L’Encyclopédie de Diderot et
d’Alembert, fut un des ardents
défenseurs de l’inoculation en Europe et il la pratiqua en France en 1755 pour
la première fois ; en 1774, Louis XVI et ses frères furent inoculés
publiquement. De nombreux nobles invitèrent Tronchin à Paris pour faire
vacciner leurs enfants, en dépit des résistances de la médecine officielle. Il
fallut attendre 1864 pour qu’Ernest Chambon répande la « vaccine animale »…
L'inoculation, tableau de Boilly en 1807 |
Comme
ces exemples le montrent, confiants dans les progrès de l’époque moderne, nous
avons eu un peu tendance à oublier, dans les pays développés, que les épidémies ont jalonné notre histoire...
Mon autre blog : Gisèle Durero-Koseoglu, écrivaine d'Istanbul
http://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/
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