Les Vestiges du jour, publié en 1989, est le roman le plus célèbre du
Prix Nobel de littérature 2017, Kazuo Ishiguro.
Majordome anglais responsable du prestigieux
domaine de Darlington Hall, Stevens a voué toute sa vie à servir « Sa Seigneurie », dans un scrupuleux respect
de la hiérarchie et une totale abnégation digne d’un saint. Convaincu d’avoir
vu défiler au château « tout ce que l’Angleterre a de meilleur », ambitionnant
de passer à la postérité comme un « grand majordome », hanté par la « dignité de la place qu’il
occupe », il n’a de cesse de perfectionner son professionnalisme.
Mais
le rachat de la somptueuse propriété par un Américain qui lui offre une semaine
de vacances va bouleverser toutes ses certitudes.
Au
volant d’une voiture prêtée par son employeur, il prend donc la direction
du West Country, où vit une ancienne
gouvernante du domaine, Miss Kenton, sous le prétexte de lui proposer de
retravailler au château. Et c’est l’occasion, au fil de la route et des
visites, de se remémorer tout son passé et de se livrer à une sorte de
confession.
Le
roman offre la particularité d’entrer dans l’univers mental du majordome et
d’exposer sa conception aliénante du métier, tout en l’exprimant dans un
langage châtié maniant le passé simple, le passé antérieur et l’imparfait du
subjonctif. La perfection de l’argenterie, étincelante au point de susciter
l’admiration des visiteurs, devient une « affaire d’état » au sens propre ; la
propreté méticuleuse des parquets est une question de vie ou de mort ;
l’obéissance aveugle aux ordres une question d’honneur, même si le majordome en
désapprouve parfois silencieusement le contenu…
Stevens ne sait plus quoi faire
pour être agréable à ses maîtres : il se
documente même pour être capable de leur répondre avec humour sans leur manquer
de respect.
Au
fil des pages, le lecteur se met à souffrir pour Stevens, qui semble « être
passé à côté de sa vie », pour se réfugier dans un monde illusoire fondé sur
des valeurs obsolètes. Il
n’a pas assisté son père sur son lit de mort car, au même instant, une soirée
d’importance se déroulait au château ; à la demande de son patron, il a accepté de renvoyer deux femmes de
chambre à la conduite exemplaire parce qu’elles étaient juives ; il a omis de se rendre compte que Miss Kenton était
amoureuse de lui lorsqu’il l’entendait sangloter derrière la porte de sa
chambre…
C’est
alors que Stevens réalise qu’il s’est oublié lui-même, n’a vécu que pour les
autres et se retrouve à l’âge mûr « sans rien », sans femme, sans enfants, sans
domicile… Son sens de l’honneur, la
fierté d’avoir tenu son rang, toutes les certitudes qui le dirigeaient comme un
pantin s’avèrent soudain anachroniques ! Et le
sentiment qui domine est désormais celui du gâchis …
Un
beau roman nostalgique qui parle avec pudeur de l’aveuglement sur soi-même, du
sentiment diffus de l’échec et de la tristesse résignée du regret…