On ne présente plus
Montesquieu, les biographies abondent pour décrire celui qui fut un des plus
célèbres philosophes des Lumières.
Je me
pencherai donc sur les éléments demeurant en marge de ses biographies
officielles.
Car Charles-Louis de
Secondat, baron de La Brède, baron de
Montesquieu, n’est pas le personnage austère que l’on pourrait imaginer en
constatant qu’il a consacré quatorze années de sa vie à écrire L’Esprit des Lois !
Passionné de sciences
au point d’avoir publié trois communications scientifiques sur l’écho, les
glandes rénales et la pesanteur, penseur politique et sociologue dans les Considérations sur
les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence
(1734) et De l'esprit des lois (1748), écrivain satirique dans Les Lettres persanes (1721), libertin
dans Le Temple de Gnide (1720),
auteur d’un Essai sur le goût (1757),
président à mortier du Parlement de Bordeaux, homme éclairé épousant une
protestante, bel esprit brillant dans le Salon de Madame de Lambert, académicien,
grand voyageur ayant parcouru l’Europe, gentilhomme vigneron exploitant un
immense domaine vinicole produisant du vin de Bordeaux, la personnalité de
Charles-Louis, que l’on fit tenir sur les fonds baptismaux par un mendiant nommé
Charles, pour qu’il se souvienne que les pauvres sont ses frères, est
protéiforme !
Jadis, le billet de 200 francs, surnommé "un Montesquieu"...
Un
gentilhomme campagnard passionné par ses vignobles
Charles-Louis voit le
jour le 18 janvier 1689 au Château de la Brède, dans un extraordinaire édifice moyenâgeux cerclé de douves surmontées de pont-levis. C’est dans ce havre de
paix qu’il écrira ses grandes œuvres.
Le site du Château de
la Brède, qui reçut en 2012, du Ministère de la culture, le label de « Maison des Illustres »,
nous apprend que la bibliothèque de Montesquieu comportait plusieurs milliers
de livres ; sa dernière descendante, la comtesse Jacqueline de Chabannes,
en a fait don à la bibliothèque municipale de Bordeaux.
Gentilhomme campagnard,
Montesquieu est amoureux de son domaine : enrichi par son mariage qui fait
tomber des centaines d’hectares de terrains de Graves dans son escarcelle, héritier
de son père et de son oncle, il n’a de cesse d’embellir et de faire fructifier ses
propriétés, en particulier son domaine vinicole. Son amour pour ses terres est
tel qu’il fait graver sur la porte d’entrée, « Delicia domini », les délices du maître.
Chef d’entreprise
avisé, il utilise sa renommée d’écrivain pour commercialiser son vin des coteaux
des Graves, et le vend à l’Angleterre.
Notons que le vin de Bordeaux du
Château de la Brède est encore célèbre aujourd'hui…
Un
amoureux du Temple de Gnide ?
On ne sait pas grand-chose
de ses amours, si ce n’est qu’il a épousé en 1715, à l’âge de 26 ans, la protestante
Jeanne de Lartigue ; mais on peut noter qu’il ne l’emmènera pas lors de
ses déplacements, en particulier lors de ses longs voyages entre 1728 et 1731,
lorsqu'il fait le tour de l’Europe et séjourne même un an et demi en
Angleterre. Les commérages disent qu’il n’aurait pas eu beaucoup de temps à
consacrer à son épouse…
On sait cependant de
lui qu’il aime l’amour ! En effet, en 1725, il publie Le Temple de Gnide, poème d’inspiration mythologique qu’il nomme
« roman » pour Mademoiselle de Clermont, à la cour de Chantilly.
Mademoiselle de Clermont en sultane
par Jean-Marc Nattier (1733) Londres, Wallace Collection
Ce roman, soi disant
traduction d’un manuscrit grec acheté dans l’Empire ottoman par un ambassadeur,
considéré à l’époque comme érotique, lui
vaut immense succès (un des grands tirages du XVIIIe siècle) et scandale. Dans sa préface, il souhaite « plaire
au beau sexe, à qui il doit le peu de moment heureux qu’il compte dans sa vie
et qu’il adore encore » !
Sur le site de la BNF,
on apprend que l’édition de 1772 de cet ouvrage, avec des gravures de Charles
Eisen, fut considérée comme un des plus beaux livres du XVIIIe siècle.
Selon le livre d’Inès
Murat, Madame du Deffand (2003), après
la publication des Lettres persanes,
lorsqu'il était à la mode dans les Salons, Charles-Louis aurait eu un faible
pour Madame de Mirepoix, grande dame menant un train de
vie fastueux, joueuse invétérée et amie de la Pompadour ; il lui a dédié
un poème dont voici le début :
La
beauté que je chante ignore ses appas
Mortels,
qui la voyez, dites-lui qu’elle est belle
Naïve,
simple, naturelle
Et
timide sans embarras.
Telle
est la jacinthe nouvelle…
Mais sa correspondance
nous révèle en réalité une liaison passionnée avec Marie-Anne Goyon de
Matignon, Marquise de Graves, sans doute représentée sous les traits de « Thémire »
dans Le Temple de Gnide, et à qui,
retenu à la Brède par la mort de son beau-père, il écrit au printemps de
1725 :
Je pense et repense tous les jours à ce
profond silence. La solitude où je suis entretient encore mes chagrins et ma
profonde mélancolie. Des intérêts d’honneur et de famille m’attachent encore
pour sept ou huit mois dans ce pays-ci : je commence à sentir combien ce
temps me va coûter cher. Ce sera la dernière lettre dont je t’accablerai :
je ne te demande qu’une grâce, qui est de croire que je t’aime encore ;
peut-être que c’est la seule chose que je puisse à présent espérer de toi… Mon
cher cœur, si tu ne m’aimes plus, cache-le-moi encore pour quelque temps ;
je n’ai pas encore la force qu’il faut pour pouvoir l’apprendre. Ayez pitié
d’un homme que vous avez aimé, si vous n’avez pas pitié du plus malheureux de
tous les hommes…
Quoi qu’il en soit, on
ne peut qu’être séduit par l’humour- Madame du Deffand ne disait-elle pas qu’il
faisait de « l’esprit sur les lois « ? - le modernisme, la
tolérance de ce grand esprit né juste un siècle avant la Révolution, qui a si
bien su décrypter les rouages de la vie politique, a consacré toute son
existence au savoir, et nous a laissé, parmi tant d’autres, ce conseil imparable : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une
heure de lecture n’ait dissipé. »
Quelques sources pour
en savoir plus :
Gallica, les Essentiels
Littérature : http://expositions.bnf.fr/montesquieu/le-temple-de-gnide/index.htm
Biographie détaillée :
http://www.bookine.net/montesquieubiographie.htm