A l’origine, ce n’est pas l’avalanche de
prix remportée par le roman Réparer les
vivants qui m’a poussée à le lire. Oserais-je même dire que cette pléthore
de récompenses avait éveillé en moi une certaine prévention, la vilaine petite
voix qui chuchote : « commercial »…
Avouons aussi que le sujet ne m’inspirait
pas. Rien ne me préparait a priori à
me laisser sombrer dans les abysses du « roman d’une transplantation
cardiaque », comme le définit la quatrième de couverture.
Quoique… A bien y réfléchir, n’avais-je
pas fait mes délices, à l’adolescence, de la série Les
Hommes en blanc, d’André Soubiran, que j’avais dénichée dans la bibliothèque
familiale ? Finalement, c’est ce souvenir de mes quatorze ans qui m’a incitée à laisser tomber le roman Réparer
les vivants au fond de mon caddie (car oui, mea culpa, je l’ai acheté dans un supermarché et non dans une librairie,
une fois n’est pas coutume…)
Et ensuite, « Dieu garde ! »
comme disait ma grand-mère !
Car l’émerveillement suscité par
le style de l’auteur lors de la description du surf sur les vagues glacées de l’océan,
cède vite la place au plaisir masochiste d’une descente en enfer !
Non, je ne voulais pas affronter la
douleur de la mort cérébrale de Simon, celle de ses parents, l’attente
angoissée de celle dont le cœur va sauver la vie ! Plusieurs fois, indignée
par la souffrance que nous force à ingurgiter la romancière, je me suis interdit
de continuer à tourner les pages du roman –mais est-ce vraiment un roman ?-
je me suis même dit que j’allais « foutre le livre à la poubelle ». Néanmoins,
j’en ai poursuivi la lecture, comme le papillon revenant obstinément sur l’ampoule
qui lui brûle les ailes.
La raison ? Ce livre qui flirte
avec l’Hadès est fascinant ! Il s’agit bien d’un chef d’œuvre, écrit avec
tant de pénétration psychologique qu’il vous hante des semaines durant. Vais-je
en conseiller la lecture ? J’émettrai une réserve : « âmes sensibles
s’abstenir » !
Maylis de Kerangal photographiée dans L'Express
Il y a deux jours, je suivais vaguement
les actualités sur une chaîne de télévision turque, lorsque la speakerine annonça
joyeusement une nouvelle : une petite fille au seuil de la mort allait être
sauvée car on venait enfin, in extremis de
lui trouver un cœur compatible ! On montrait l’ambulance transportant la valise
contenant le cœur arrivant dans la cour de l’hôpital et on interrogeait ensuite
les parents de la fillette, souriants et exprimant leur foi en l’avenir. Pas un
mot sur le « cœur compatible » ! Cette nouvelle, qui en temps
normal n’aurait pas, outre mesure, éveillé mon attention – des centaines de
gens disparaissant chaque jour dans les guerres ou noyés en Méditerranée, ce qui a,
hélas, horriblement banalisé la mort - m’a
fait battre le cœur ! C’est le cas de dire ! Car la question « Où
ont-ils trouvé le cœur ? » s’est imposée à mon imagination après la
lecture du roman de Maylis de Kerangal.
Je n’en dirai pas plus. Sur le plan
littéraire, le sujet est nouveau, le style de l’auteur, jouant avec des
métaphores inédites, vraiment original. Sur le plan humain, il s’agissait sans
doute d’un roman nécessaire.