La
crise du Covid-19 remet cruellement les pendules à l’heure ; ce ne sont
pas les pays les plus développés qui se révèlent les mieux préparés face à une
urgence sanitaire de cette ampleur ! Je n’en prendrais pour exemple que la
désormais célèbre pénurie de masques qui touche certains pays européens, mais
pas le monde entier, vu que des pays bien plus pauvres que les six premiers de
la planète sont devenus les petits chanceux qui
avaient conservé leurs fabriques nationales de masques !
Ce
que nous montre la crise, c’est que le discours des philosophes, que l’on
rabâche dans les lycées juste pour préparer le Bac, sans vraiment jamais se
l’approprier ni en digérer la « substantifique moelle », se révèle
d’une amère actualité…
Jean-Jacques
Rousseau, un des plus merveilleux auteurs non seulement du XVIIIe mais aussi de
la littérature mondiale, nous mettait en
garde il y a plus de deux siècles :
« Le
grand devient petit, le riche devient pauvre, le monarque devient sujet :
les coups du sort sont-ils si rares que vous puissiez compter d’en être
exempt ? »
Cette
simple phrase s’applique si bien à la situation actuelle !
Nous
avons honteusement développé un capitalisme barbare qui exploite les
trois-quarts de la population pour que d’autres puissent se déplacer en
hélicoptère privé ; selon les économistes, au début de 2019, 26 personnes
possédaient autant d’argent que 3.8 milliards des plus pauvres de notre terre. Et
chaque jour, selon les Nations Unies, 25000 personnes meurent de la faim dans
le monde ! Toutes les six secondes, un enfant décède de la malnutrition
et de ses conséquences ! Cette idéologie dévoyée du rendement a mis au chômage
des milliers d’ouvriers et d’ouvrières, faisant fi de leur désespoir et de leur
misère, pour aller faire fabriquer nos produits à l’autre bout de la planète.
Et cela pour enrichir toujours les mêmes personnes.
Enfin,
pour mettre en œuvre ce dogme de la rentabilité, nous avons honteusement pillé
et massacré la nature et ses créatures ; elle prend sa revanche et nous
rappelle que nous sommes impuissants face à elle ; tout le monde a pu voir
sur les réseaux sociaux le cerf se promenant dans une église en France, les
marsouins folâtrant dans les canaux de Venise, l’ours visitant une station de
téléphérique et les dauphins s’ébattant dans les eaux du centre-ville en
Turquie, les crocodiles vautrés sur les plages touristiques au Mexique…
Cela
fait des années que les écologistes tirent la sonnette d’alarme et prônent la
décroissance en nous rappelant que si nous continuons notre mode de vie actuel,
notre avenir sera fait d’incendies géants, d’inondations, de cataclysmes de
toutes sortes induits par notre destruction systématique de la nature.
Et
voilà que soudain, la décroissance s’impose à nous ! L’économie mondiale
est à l’arrêt pour un virus alors que notre arrogance nous avait fait
oublier que cent ans auparavant, vingt millions de personnes avaient perdu la
vie dans la pandémie de grippe espagnole… Les pays les plus développés
vacillent, le riche devient pauvre, comme le dit Rousseau ! Et l’on a vu aussi
que dans les populations sur nourries, certaines personnes sont prêtes à se bagarrer
avec leurs congénères pour un simple pain !
Alors,
demain ?
Si,
après qu’on ait réussi à éradiquer le virus, on reprend notre vie
« d’avant » comme si de rien n’était, si on continue à n’avoir pour
ambition que de remplir nos chariots de supermarché de marchandises
cancérigènes aux emballages polluants ou à se procurer des appareils issus des
dernières technologies en s’empressant de jeter les autres, devenus
démodés ; si on continue à faire
travailler pour des salaires de misère ceux qui ont porté la société à bout de
bras en période de pandémie pendant que d’autres se hâteront de recommencer à
les exploiter ; si l’on se remet à couper les forêts et à polluer toute la
planète par les pesticides, les fongicides, les engrais, le transport aérien
des marchandises, si, si si… il n’est
pas difficile d’imaginer la suite : la vie au XXI e siècle risque de se
changer en cauchemar pour ceux et celles
qui auront survécu à la pandémie. Car la nature n’a pas dit son dernier mot,
elle peut élaborer d’autres virus, d’autres catastrophes planétaires voire
éradiquer notre espèce en quelques décennies…
Souhaitons
que la crise du Covid-19 incite les états à une réflexion réaliste sur l’état
de notre monde et à en tirer les conséquences pour métamorphoser la société en
retournant aux valeurs fondamentales. Ce ne sera pas chose aisée, les
oppresseurs et les grands financiers tenteront de reprendre la main.
L’éthique,
nue et timide, va devoir se frayer un
passage dans les broussailles piquantes du lucre…
Souhaitons
cependant qu’un nouvel humanisme supplante enfin la mentalité du profit et de
la rentabilité à tout prix…
Souhaitons,
souhaitons…
Mon autre blog, Gisèle Durero-Köseoglu, écrivaine d’Istanbul