mercredi 15 avril 2020

Et si l’on profitait de la crise du Covid-19 pour écouter les philosophes ?


La crise du Covid-19 remet cruellement les pendules à l’heure ; ce ne sont pas les pays les plus développés qui se révèlent les mieux préparés face à une urgence sanitaire de cette ampleur ! Je n’en prendrais pour exemple que la désormais célèbre pénurie de masques qui touche certains pays européens, mais pas le monde entier, vu que des pays bien plus pauvres que les six premiers de la planète sont devenus les petits chanceux qui  avaient conservé leurs fabriques nationales de masques !

Ce que nous montre la crise, c’est que le discours des philosophes, que l’on rabâche dans les lycées juste pour préparer le Bac, sans vraiment jamais se l’approprier ni en digérer la « substantifique moelle », se révèle d’une amère actualité…


Jean-Jacques Rousseau, un des plus merveilleux auteurs non seulement du XVIIIe mais aussi de la littérature mondiale,  nous mettait en garde il y a plus de deux siècles :
« Le grand devient petit, le riche devient pauvre, le monarque devient sujet : les coups du sort sont-ils si rares que vous puissiez compter d’en être exempt ? »
Cette simple phrase s’applique si bien à la situation actuelle !



Nous avons honteusement développé un capitalisme barbare qui exploite les trois-quarts de la population pour que d’autres puissent se déplacer en hélicoptère privé ; selon les économistes, au début de 2019, 26 personnes possédaient autant d’argent que 3.8 milliards des plus pauvres de notre terre. Et chaque jour, selon les Nations Unies, 25000 personnes meurent de la faim dans le monde ! Toutes les six secondes, un enfant décède de la malnutrition et de ses conséquences ! Cette idéologie dévoyée du rendement a mis au chômage des milliers d’ouvriers et d’ouvrières, faisant fi de leur désespoir et de leur misère, pour aller faire fabriquer nos produits à l’autre bout de la planète. Et cela pour enrichir toujours les mêmes personnes. 

Enfin, pour mettre en œuvre ce dogme de la rentabilité, nous avons honteusement pillé et massacré la nature et ses créatures ; elle prend sa revanche et nous rappelle que nous sommes impuissants face à elle ; tout le monde a pu voir sur les réseaux sociaux le cerf se promenant dans une église en France, les marsouins folâtrant dans les canaux de Venise, l’ours visitant une station de téléphérique et les dauphins s’ébattant dans les eaux du centre-ville en Turquie, les crocodiles vautrés sur les plages touristiques au Mexique…



Cela fait des années que les écologistes tirent la sonnette d’alarme et prônent la décroissance en nous rappelant que si nous continuons notre mode de vie actuel, notre avenir sera fait d’incendies géants, d’inondations, de cataclysmes de toutes sortes induits par notre destruction systématique de la nature.

Et voilà que soudain, la décroissance s’impose à nous ! L’économie mondiale est à l’arrêt  pour un virus alors que notre arrogance nous avait fait oublier que cent ans auparavant, vingt millions de personnes avaient perdu la vie dans la pandémie de grippe espagnole… Les pays les plus développés vacillent, le riche devient pauvre, comme le dit Rousseau ! Et l’on a vu aussi que dans les populations sur nourries, certaines personnes sont prêtes à se bagarrer avec leurs congénères pour un simple pain !

Alors, demain ?

Si, après qu’on ait réussi à éradiquer le virus, on reprend notre vie « d’avant » comme si de rien n’était, si on continue à n’avoir pour ambition que de remplir nos chariots de supermarché de marchandises cancérigènes aux emballages polluants ou à se procurer des appareils issus des dernières technologies en s’empressant de jeter les autres, devenus démodés ;  si on continue à faire travailler pour des salaires de misère ceux qui ont porté la société à bout de bras en période de pandémie pendant que d’autres se hâteront de recommencer à les exploiter ; si l’on se remet à couper les forêts et à polluer toute la planète par les pesticides, les fongicides, les engrais, le transport aérien des marchandises,  si, si si… il n’est pas difficile d’imaginer la suite : la vie au XXI e siècle risque de se changer en cauchemar  pour ceux et celles qui auront survécu à la pandémie. Car la nature n’a pas dit son dernier mot, elle peut élaborer d’autres virus, d’autres catastrophes planétaires voire éradiquer notre espèce en quelques décennies…
Souhaitons que la crise du Covid-19 incite les états à une réflexion réaliste sur l’état de notre monde et à en tirer les conséquences pour métamorphoser la société en retournant aux valeurs fondamentales. Ce ne sera pas chose aisée, les oppresseurs et les grands financiers tenteront de reprendre la main.

L’éthique, nue et timide,  va devoir se frayer un passage dans les broussailles piquantes du lucre…

Souhaitons cependant qu’un nouvel humanisme supplante enfin la mentalité du profit et de la rentabilité à tout prix…

Souhaitons, souhaitons…



Mon autre blog, Gisèle Durero-Köseoglu, écrivaine d’Istanbul

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