Les histoires d’amour des écrivains sont parfois hors
norme. C’est pour cela qu’en ce jour de Saint-Valentin, j’ai envie de vous en
raconter quelques-unes, dont le point
commun n’est autre que : l’amour se moque de l’âge.
Lecteur, lectrice, c’est le moment de laisser tes
préjugés à la porte !
Montaigne, 55 ans,
Marie de Gournay, 23 ans…
Lorsque l’année de ses dix-huit ans, Marie, jeune fille
très intellectuelle et féministe pour son époque, découvre les Essais de Montaigne, elle est tellement
envoûtée par l’œuvre qu’elle ne rêve plus que de rencontrer… l’homme. Ce n’est
que cinq ans plus tard qu’elle lui écrit enfin ; Montaigne la rencontre
dès le lendemain. Leur histoire ? Je ne regarde plus qu’elle au monde, confie Montaigne ! Quant
à ses sentiments à elle, Montaigne évoquera
avec nostalgie la véhémente
façon dont elle (l’)aima et (le) désira longtemps...
Car Montaigne est
marié et Marie a une mère qui la surveille. Les amoureux doivent donc se
résoudre à la séparation. Pour se consoler, Montaigne, même s’il avoue l’aimer plus que paternellement, fera d’elle sa « fille
d’alliance ». Ils ne se verront plus mais continueront de s’écrire. Et à
la mort du grand écrivain, ce sera elle qui publiera la première édition
posthume des Essais, celle que l'on nomme
Diderot et Sophie Volland : le grand amour à la
quarantaine …
Il a 41 ans, il est marié, il travaille à
l’Encyclopédie ; elle a 38 ans, elle est, à l’époque, ce que l’on nomme
une « vieille fille ». Elle s’appelle « Louise-Henriette »
mais Diderot la rebaptise « Sophie », du nom du personnage de sa
pièce, Le Fils naturel. Leur relation
passionnée dure cinq ans. Mais un jour, drame !
Madame Volland surprend
les amoureux ensemble, et surcroît de malchance, Madame Diderot découvre une
lettre de Sophie à son mari. Alors, tombe le verdict : Madame Volland
emmène Sophie sur ses terres et Madame Diderot menace, en cas de divorce,
d’interdire à Diderot de voir Angélique, sa fille chérie !
En l'absence de portrait de Sophie Volland, j'ai utilisé le portrait de Sophie Arnould, grande actrice du XVIII e siècle peinte par Greuze en 1773.
C’est à partir de
ce moment que Diderot développe la métaphore d’Héloïse et Abélard pour évoquer
leur amour. Les deux amants n’ont plus qu’une solution pour continuer à
communiquer : s’écrire !
Portrait de Diderot par Van Loo en 1767
Ce qui nous a valu une des plus belles
correspondances de la littérature française, les Lettres de Diderot à Sophie Volland.
Et aussi de sublimes mots
d’amour : Avec vous, je sens, j’aime, j’écoute, je regarde, je caresse, j’ai une
sorte d’existence que je préfère à toute autre. Si vous me serrez dans vos
bras, je jouis d’un bonheur au delà duquel je n’en conçois point. Il y a quatre
ans que vous me parûtes belle ; aujourd’hui je vous trouve plus belle
encore ; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare
de nos vertus.
Quant aux lettres de Sophie ? Perdues… Ils mourront à cinq mois d’intervalle l’un de
l’autre.
Laure de Berny, 45 ans, Honoré de Balzac, 23
ans…
Laure de Berny peinte par Henri-Nicolas Von Gorp
L’année de ses 22 ans, Balzac tombe amoureux de Laure de
Berny. Qui est donc cette dame pour laquelle le jeune Honoré va éprouver la
grande passion de sa jeunesse ? Née douze ans avant la Révolution française, elle
est la fille du professeur de harpe de la reine Marie-Antoinette ; notons au passage qu’elle a un an de plus que
la mère de Balzac et a mis au monde neuf enfants… Quant à Balzac, grand lecteur
de Rousseau, aurait-il reconnu en Laure une nouvelle Madame de Warens ? Pendant
longtemps, Laure de Berny repousse les déclarations enflammées d’Honoré, qui n’a qu’un seul souhait : Etre célèbre et
être aimé… Mais, en 1822, elle finit par s’abandonner
à ce grand amour, qui va faire scandale. Elle sera pour Honoré une mère (la
mère de Balzac avait trente-deux ans de moins que son époux et n’avait jamais manifesté de tendresse à Honoré, né de son
mariage malheureux, alors qu’elle chérissait son autre fils, qu’elle avait eu
avec son amant... Pauvre Honoré…), une confidente, une amie, une conseillère, une
maîtresse et un soutien. Pendant la douzaine d’années que durera leur liaison,
elle l’introduit dans tous les milieux qu’il décrira ensuite dans ses romans.
Celle que Balzac surnomma « La Dilecta »
(l’aimée), sera aussi sa muse : elle servira de modèle à Madame de
Mortsauf dans le roman, en grande partie autobiographique, Le Lys dans la vallée, qu’elle
aura d’ailleurs le bonheur de lire peu avant sa mort : Elle fut non pas la bien aimée, mais la plus
aimée… Le lys, c’était elle… Puis, elle inspirera aussi le personnage
de Madame de Bargeton, dans Les Illusions
perdues. Après la mort de Laure, Balzac écrira :
« La
personne que j’ai perdue était plus qu’une mère, plus qu’une amie, plus que
toute créature peut être pour une autre (…). Elle m’avait soutenu de parole,
d’action, de dévouement pendant les grands orages. Si je vis, c’est par elle.
Elle était tout pour moi... »
George Sand et Jules Sandeau : quand l’amour fait
naître une écrivaine…
Portrait de George Sand par Auguste Charpentier en 1838
On connaît les amours tumultueuses de George Sand avec
Alfred de Musset ou Frédéric Chopin. Mais on oublie trop souvent de parler de
sa liaison avec Jules Sandeau. Elle revêtit pourtant une importance capitale dans
la vie de l’écrivaine car elle fut à l’origine de la métamorphose qui
transforma Aurore Dupin en George Sand !
Après neuf ans de mariage avec Casimir Dudevant, dont
elle eut deux enfants, Aurore Dupin fait scandale en quittant son époux pour
suivre à Paris son jeune amant, Jules Sandeau, alors âgé de dix-neuf ans.
Tous
deux, ils donnent au Figaro des
articles signés « J. Sand », puis écrivent ensemble deux romans, Le Commissionnaire (1830) et Rose
et Blanche (1831). C’est à cette époque que la romancière commence à porter
des habits d’homme. La raison ? Son époux lui a « coupé les
vivres » et porter un vêtement masculin coûte bien moins cher que se
revêtir des robes compliquées des dames de cette époque.
Au fur et à mesure
qu’Aurore devient plus célèbre, la liaison
avec Sandeau se dégrade. Mais elle continuera pourtant à utiliser leur
pseudonyme ; en 1832, elle écrit seule Indiana
et signe « G. Sand » ; c’est un immense succès ! L’an
d’après, lorsqu'elle publie Lélia, autre
« best-seller » condamnant le mariage, Aurore (qui quitte Jules
Sandeau) a définitivement adopté le nom de
« George (sans « s ») Sand !
Marguerite Duras et Yann Andréa : 38 ans de
différence !
Elle
l’a racontée dans son livre Yann Andréa
Steiner, en 1992.
Il
l’a racontée dans son livre, Cet amour-là, en 1999.
Quoi ?
Me demanderez-vous ?
Leur
extraordinaire histoire d’amour.
La plus étonnante, sans doute, de toutes celles que je
viens de vous raconter...
L’année de ses
vingt ans, lorsque Yann Andréa découvre le livre de Marguerite Duras, Les Petits chevaux de Tarquinia, il
n’est rien moins que subjugué. Deux
ans plus tard, lors de la projection du film de Marguerite Duras, Indian Song, il parvient à faire
connaissance avec elle, ils vont boire un pot ensemble. Il lui écrira ensuite de nombreuses, elle ne répond jamais. Mais le jour où, en
1980, il cesse de lui écrire, Marguerite
s’inquiète. Et cette fois, c’est elle qui lui écrit. La suite ? 16 ans de
vie commune, jusqu’à la mort de Marguerite Duras. Il a alors 28 ans et
elle, 66 !
Yann Andréa se consacrera entièrement à Marguerite ;
quant à elle, elle le métamorphosera en personnage littéraire et en héros de
film…
Marguerite Duras et Yann Andrea en 1991
Si vous êtes seul(e), trahi(e), abandonné (e), bref, si
vous ne croyez plus à l’amour… espérons que la lecture de ces lignes vous aura
un peu remonté le moral….