samedi 9 avril 2016

Baudelaire. Né le 9 avril 1821 : Ténébreux pétale des Fleurs du mal


 Article de Gisèle Durero-Koseoglu

Section Spleen et Idéal

                                                     Baudelaire par Etienne Carjat en 1863

La malédiction du poète

Etre d’exception, il n’en est pas moins maudit. Sa naissance est un drame pour sa mère.

« Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu qui la prend en pitié » Bénédiction



Il est incompris par la société bourgeoise qui le rejette 
« Exilé sur le sol au milieu des nuées
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher » L’Albatros.

Mais il accède à l’idéal par la poésie.
« Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
Qui plane sur la vie et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes »  Elévation

Spleen et Idéal

Pas de beauté moderne sans souffrance ! Baudelaire établit une douloureuse correspondance entre la création et le malheur. 
«  Je ne prétends pas que la joie ne puisse s’associer avec la Beauté mais je dis que la joie en est un des ornements les plus vulgaires, tandis que la mélancolie en est, pour ainsi dire, l’illustre compagne » ( Mon Coeur mis à nu)

Il célèbre une nouvelle sorte de beauté « moderne » qui ne se limite pas aux choses considérées comme belles par la tradition

« Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,
O beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton œil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte
D’un infini que j’aime et n’ai jamais connu ? Hymne à la beauté

C’est grâce à sa souffrance qu’il mérite le salut, au sens religieux.

« Soyez beni, mon Dieu, qui donnez la souffrance 
Comme un divin remède à nos impuretés » Bénédiction

                                                        Baudelaire par Nadar en 1855

 Le spleen

Le poète souffre de spleen et d’obsession de la mort. Ce sentiment est exprimé chez lui de façon brutale par des métaphores de « gouffre… chute… tombe… froid… humidité… squelette… cadavre... vers... »

« Moi, mon âme est fêlée…
 Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie » La Cloche fêlée

« Je suis un cimetière abhorré par la lune » Spleen 60

« Et d’anciens corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; et l’Espoir
Pleurant comme un vaincu, l’Angoisse despotique
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir » Spleen 62 



Il est hanté par la fuite du temps, qui est souvent personnifiée de façon effrayante, avec des verbes indiquant une ingestion, tels que « dévorer… engloutir… avaler… manger... » 

« Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur » L’ennemi  

« Le Temps est un joueur avide, qui gagne sans tricher, à tout coup ! » L’Horloge

« L’Irréparable ronge avec sa dent maudite. » L’Irréparable

L’automne, saison de prédilection, est aussi celle où la fuite du temps est ressentie de la façon la plus tragique.

« Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui – C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. » Chant d’automne

« Ô blafardes saisons, reines de nos climats ! Brumes et pluies

Charles et les femmes

 La femme sert de médiatrice au poète pour échapper au spleen.

« Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne vaut l’abîme de ta couche ;
L’oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers » Le Léthé

« J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime,
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé » De profundis clamavi


Les poèmes inspirés par Jeanne Duval célèbrent sa beauté et sa sensualité.

« Bizarre déité, brune comme les nuits » Sed non satiata
« Que j’aime voir, belle indolente
De ton corps si beau
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau ! » Le Serpent qui danse

« Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne » Les Bijoux



Elle est souvent à la source d’un rêve d’exotisme
« Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux » Parfum exotique

« Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur ou frémit l’éternelle chaleur » La Chevelure

« Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,
Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. » Le Beau navire

                                                Jeanne Duval par Edouard Manet en 1862

Elle est associée au parfum, qui suscite un voyage imaginaire

« Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron...
Comme  d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! vogue sur ton parfum » La Chevelure

Elle est aussi idéalisée dans un amour platonique, comme Marie Daubrun



« Je suis l’Ange gardien, la Muse et la Madone » Poème 37

Mais la femme ne comprend pas toujours le poète, à l'instar d'Apollonie Sabatier

« Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse ? » Réversibilité

                              Statue de Madame Sabatier sculptée par Auguste Clésinger en 1847

Elle est parfois dangereuse ou cruelle.

« Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… » Le Poison
« Tu ressembles ces jours blancs, tièdes et voilés
Qui font se fondre en pleurs les cœurs ensorcelés,
Quand, agités d’un mal inconnu qui les tord,
Les nerfs trop éveillés raillent l’esprit qui dort » Ciel brouillé

« Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;
Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu ravagé
Par la griffe et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon cœur ; des monstres l’ont mangé » Causerie

Elle est comparée à un chat

« Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique …
Je vois ma femme en esprit ; son regard
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard » Le Chat

                    Image de Margarita GarciaAlonso, 2014, https://garciaalonsomargarita.wordpress.com

Le poète rêve d’un amour idéal qu’il ne trouve pas dans la réalité

« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble ;
Aimer à loisir
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble » L’Invitation au voyage

                                                            Baudelaire par Nadar 

Cet amour semble toujours contrarié ou perdu ou rêvé.

« Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir » Harmonie du soir

« Les soirs illuminés par l’odeur du charbon
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses ;
Que ton sein m’était doux ! Que ton cœur m’était bon ! » Le Balcon

                                               Baudelaire par Etienne Carjat vers 1863

Charles, poète différent


Baudelaire cultive sa différence. En se proposant « d’extraire la beauté du Mal », il cherche délibérément à créer une œuvre originale, comme l’indique sa  correspondance. C’est pour cela qu’il utilise une rhétorique savante faite de comparaisons et métaphores inédites, allégories, oxymores, rimes novatrices…

                     Composition de KatarinaRss, "Baudelaire et ses fleurs", Deviant Art, 2012.


Joyeux 195ème anniversaire, Charles ! De toute façon, tu es immortel !