C’est aujourd’hui le 33ème anniversaire de la mort de Georges Simenon, disparu le 4 septembre 1989. C’est pourquoi j’ai éprouvé le besoin d’honorer la mémoire de ce génie littéraire, né à Liège en 1903, capable d’écrire 80 pages par jour, qui a débuté très tôt dans le journalisme, s’exerçant à l’écriture en publiant, sous des pseudonymes divers, un nombre incroyable de romans populaires. En effet, Georges Simenon, quatrième auteur francophone le plus traduit dans le monde, a écrit 192 romans (dont 75 Maigret et 117 romans qu’il appelait ses « romans durs »), 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages ; sans parler des 176 romans parus sous des pseudonymes divers…
Maigret
Comme Jules Verne, qui se
retirait sur son bateau pour créer, Georges Simenon écrit à partir de 1929 sur
un bateau, L’Ostrogoth, qu’il gardera trois ans. Dès 1931, il crée, sous
son véritable nom de Georges Simenon, le personnage du commissaire Maigret,
devenu mondialement connu et toujours au premier rang de la mythologie du roman
policier. Simenon rencontre immédiatement le succès et le cinéma s’intéresse à
son œuvre dès le début. Ses romans ont été adaptés à travers le monde en plus
de 70 films et au moins 350 téléfilms.
Les grands reportages
Après les succès du
premier Maigret, Simenon entreprend une série de reportages autour du monde et
part en Afrique, en Europe de l’Est, en Union soviétique et en Turquie,
voyageant avec sa malle, sa carte de reporter, sa machine à écrire et son
appareil-photo.
Simenon en Turquie
Simenon effectue un
séjour à Istanbul du 1 juin au 19
juillet 1933. Il arrive de Marseille le 1 juin 1933, sur le paquebot Angkor, en
compagnie de son épouse. Le but de son voyage est d’effectuer, pour le
quotidien Paris-Soir, une interview de Trotski qui est exilé depuis 1929 sur
l’île de Buyuk Ada. Simenon s’y rend en bateau le 6 juin, et rencontre Trotski,
qui, craignant pour sa sécurité, ne sort presque jamais, sauf à la tombée de la
nuit pour aller à la pêche, et vit dans une pièce entourée de livres.
Ce célèbre reportage paraîtra le 15 et 16 juin.
Après, au départ de Trabzon, Simenon fait une excursion à Batoum et Odessa, pour « découvrir le monde soviétique » puis passe par Ankara et retourne à Istanbul où il prend 400 photos. Comme l’on sait que les photos de Simenon lui servent toujours de base à un nouveau roman, il tirera plusieurs livres de son séjour à Istanbul : Le Policier d’Istanbul, nouvelle qui met en scène un policier turc ; Les Gens d’en face, roman qui se passe à Batoum mais a pour héros un consul de Turquie à Batoum se sentant observé par ses voisins ; Les Gangsters du Bosphore, reportage qui ne paraîtra pas ; Les Clients d’Avrenos, roman qui se passe complètement à Istanbul, traduit en turc par Çetin Altan en 1949 ; Le Locataire, dont le héros est Elie Naegar, d’origine turque, récit adapté à l’écran en 1982 par Pierre Granier-Deferre sous le titre L’Étoile du Nord, avec Philippe Noiret et Simone Signoret.
Le roman Les Clients d’Avrenos
On peut remarquer que les
lieux que Simenon choisit de décrire dans Istanbul ne sont pas vraiment les
lieux emblématiques de la ville en 1933, mais plutôt des endroits appartenant
au vieil Istanbul d’avant la République et qui ont déjà été décrits dans les Voyages
en Orient. L’univers du roman, déjà obsolète à son époque, semble très loin
de celui de la Turquie d’Atatürk et de la jeune république. En effet, en 1933,
cela fait déjà dix ans que la république existe, toutes les grandes réformes
ont déjà été réalisées mais Simenon n’en parle jamais. Pour Simenon, Istanbul
en 1933, c’est encore une ville où l’on loge au Pera Palas, où l’on se promène
en caïque de nuit sur le Bosphore, où l’on se promène aux Eaux-Douces d’Asie,
où l’on va pratiquer « le kief », s’enivrer, fumer du haschich dans un vieux
manoir …
C’est pour cela qu’une partie du roman se passe dans un vieux « yali », une demeure en bois les pieds dans l’eau au bord du Bosphore, inspirée par le fameux yali des Ostrorog, lieu-culte de la vie mondaine des Stambouliotes aisés, où l’écrivain, comme beaucoup d’autres, a été reçu. Simenon a sans doute choisi ce cadre parce qu’il incarne l’ultime survivance d’un monde qui disparaît, qui n’a plus sa place dans l’idéologie de la jeune république turque, qui , au contraire, cherche à se construire en opposition avec le monde ottoman et le cadre impérial.
Jouer un tour à Simenon pour lui faire écrire un roman
Dans ses souvenirs, le
peintre turc Abidin Dino raconte en 1988, comment, lors d’une invitation au yali
des Ostrorog, ils ont joué un tour à Simenon pour lui donner un sujet de roman.
Le consul de France, Raoul Crépin, organise avec un ami turc et son domestique
albanais, une pseudo-fumerie avec des figurants dans un garage et même une
fausse descente de police. Simenon n’aurait pas été dupe et la soirée se serait
terminée en beuverie. Simenon aurait pris sa revanche en écrivant le roman Les
Clients d’Avrenos, dans lequel il caricature Raoul Crépin, son épouse et
les Ostrorog…
La vidéo de l’émission d’Arte « Invitation au voyage », intitulée « A Istanbul, les mauvaises fréquentations de Simenon », réalisée par Anne Gautier et dans laquelle j’interviens à la fin…
https://www.youtube.com/watch?v=bYXRzNhK91Y&t=811s
Mon article du blog sur
le tournage de l’émission d’Arte :
http://gisele-ecrivain-istanbul.over-blog.com/2020/01/georges-simenon-a-istanbul-arte-invitation-au-voyage.html