Une expérience est édifiante : tapez sur Google
« prof qui ne fout rien » et vous verrez s’accumuler des pages
et des pages où d’honorables citoyens,
échauffés par les diffamations de certaines personnalités politiques, déversent
de fielleux torrents de rancœur voire de haine, envers les professeurs, ces
nouveaux rois fainéants !
Cas unique, il faut bien le dire, car aucune autre
profession ne suscite en France autant de polémiques et de mépris. Serait-ce
une façon pour certains, de régler a posteriori
leurs vieux problèmes avec
l’école ? Je l’ignore mais le constat s’impose : beaucoup de
Français détestent les professeurs, qui sont pourtant « plutôt » respectés
ailleurs… Il existe même des pays bizarres où l’on célèbre une « fête des
professeurs » ! C’est qui, ces enfoirés ?
Au quotidien, lorsqu’on révèle à un inconnu qu’on se
prélasse à exercer le beau métier d’enseignant, il est bien rare que ne
s’ensuivent des réflexions acides sous-entendant qu’on est toujours en vacances,
qu’on se la coule douce, qu’on fait grève la moitié de l’année et qu’en plus,
on a le culot de râler !
Personnellement, ayant passé des années à tenter de
justifier, en vain ( par les longues heures passées à l’école- car un prof a
des « trous » dans son emploi du temps ; rester 8 ou 9 heures au
lycée pour n’y donner que cinq heures de cours est tout à fait banal- par le
travail de préparation et les corrections, les multiples réunions… ) les scandaleux
privilèges et le salaire mirifique dont je me gave bien injustement (1600 au
début, 2000 euros après dix ans de carrière, 3200 à la fin, peu de chances d’accéder à la propriété… ), j’ai
désormais renoncé à nier ma culpabilité et quand mon interlocuteur, caustique
ou ironique, sous-entend que je suis un gros lézard, j’ai choisi de répondre
avec le sourire : « Oui, c’est une bonne planque ! »
Inutile d’expliquer au commun des mortels que nous suons
des heures, parfois des week-ends entiers, à lire des dissertations ou préparer
des cours ; que lorsque nous partons en vacances de Noël ou de Pâques, c’est
avec le sac lourd de paquets de copies ; que dans les heures où nous nous
trouvons hors de l’école, nous ne sommes pas en goguette mais attelés à notre
bureau. Inutile, car personne ne nous croit et on nous gratifie même d’un
regard sceptique et amusé.
Allez, les profs, passez aux confessions publiques et
avouez enfin que vous êtes des planqués ! Que tous vous applaudissent, une
fois n’est pas coutume…
Au fait, quoi de plus démoralisant pour quelqu’un qui
passe presque tout son temps libre à travailler que d’être soupçonné de
désinvolture ou de paresse ?
Le problème, désormais ? On a tellement dénigré ce
métier qu’on a réussi à décourager les plus pugnaces vocations ! Les
jeunes ne veulent plus devenir profs ! Pourtant, la France a bien besoin
de ces gros lambins, semble-t-il, si l’on en croit le nombre de classes vides
ou surchargées, de petites écoles qui ferment faute d’enseignant voire les campagnes
désespérées de l’Education Nationale sur Internet pour recruter des
troupes de masochistes ! Si cette profession est une telle sinécure, comment se
fait-il que plus personne ne souhaite l’exercer ? Même nos détracteurs les plus
acharnés reconnaissent qu’ils ne voudraient pour rien au monde faire notre
boulot.
Bouffeurs de profs, sachez que vous vous vautrez dans le
paradoxe ! Car n’est-ce pas à ces couleuvres éhontées que vous confiez la
majeure partie de la journée ce que vous avez de plus précieux, vos enfants ?
Baste ! Tant qu’on ne revalorisera pas l’image des
professeurs dans l’imaginaire collectif, le nombre des candidats à la
profession ne cessera de baisser. Pourquoi passer toute sa jeunesse à étudier,
sacrifier tous ses loisirs pour avoir une chance de réussir le Capes ou l’Agrégation,
accepter d’être muté loin de ses proches et de sa région d’origine, pour
finalement se faire traiter de « glandeur », de « bon à rien »,
de « parasite », de « j’en foutre » ? A effort
égal pour préparer les concours, mieux vaut tenter une Ecole de commerce ou
d’Ingénierie, qui vous garantira une étiquette d’authentique vrai « bosseur ».
Pour soigner la maladie de l’école, inutile de replâtrer
les programmes, de faire du neuf avec de l’ancien ou de remplacer les livres
par des tablettes. Ne faudrait-il pas tout d’abord réhabiliter le statut du
professeur en cessant de le désigner à la vindicte publique comme un « Tire-au-flanc
au salaire mirobolant » ? Serait-il inopportun de rappeler que ce
métier n’est pas tout à fait inutile et que si l’on rate l’éducation des
jeunes, on gâche à l’avance, et de façon irrattrapable, la société de
demain ?
Un prof fier
de son métier, exercé avec foi et courage depuis trente ans…