Références pour cet article : Guy Michaud, L’œuvre et ses techniques, Ed. Nizet,
1957. Guillaume Bardet et Dominique Caron, Les
Faux-monnayeurs, Journal des Faux-monnayeurs, « L’Art de la fugue », Bac L
Epreuve de littérature, Editions Ellipses, 2016.
On sait par son Journal qu’au moment où Gide écrit Les Faux-monnayeurs, il travaille Bach
au piano et compare souvent ses difficultés en musique à celles qu’il doit
vaincre pour écrire son roman.
Au début du Journal des
Faux-monnayeurs, il écrit le 17 juin 1919 : « Je suis comme un musicien qui
herche à juxtaposer et imbriquer, à la manière de César Franck, un motif
d’andante et un motif d’allegro ». Le mélange des tonalités, des andantes et
des allegros, pourrait être illustré par l’alternance de sujets de registres
différents chez Gide, par exemple, un passage pathétique alternant avec un
passage satirique. Exemple : la scène pathétique dans laquelle La Pérouse parle
de son petit-fils au chapitre XIII est suivie d’une autre scène pathétique au
chapitre XIV lorsque Bernard va rendre visite à Laura dans l’hôtel puis d’un
passage satirique quand Oliver est chez Passavant au chapitre XV.
Le 3 octobre 1924, dans son Journal, il écrit : « Nombre
d’idées sont abandonnées presque sitôt lancées, dont il me semble que j’aurais
pu tirer meilleur parti. Celles, principalement, exprimées dans le Journal
d’Édouard ; il serait bon de les faire reparaître dans la seconde partie. Il
serait dès lors d’autant plus étonnant de les revoir après les avoir perdues de
vue quelque temps, comme un premier motif, dans certaines fugues de Bach. »
Dans le roman, « Ce
que je voudrais faire, comprenez-moi, c’est quelque chose qui serait comme
l’Art de la fugue. Et je ne vous pas pourquoi ce qui fut possible en musique
serait impossible littérature » dit
Edouard à Sophroniska, au chapitre 3 de
la deuxième partie du roman, à Saas-Fée, p.187 (Ed.Folio). On peut noter aussi que lorsqu’Edouard va
voir La Pérouse au chapitre XIII du I, ce dernier parle d’une fugue de Bach
qu’il répète (p. 119).
De quelle façon le
travail de Gide dans Les Faux-monnayeurs peut-il être comparé à celui de l’art
de la fugue ?
Qu’est-ce qu’une fugue en musique ?
Définition de la fugue dans le Dictionnaire Larousse : «
Genre de composition dont les deux caractères essentiels sont : un style
contrapuntique rigoureux, c’est-à-dire résultant exclusivement de la
combinaison de lignes mélodiques, toutes d’égale importance… la prédominance
d’un thème principal nommé sujet, présenté et développé successivement par
chacune des voix selon des conventions définies.»
En musique, une fugue est donc une forme d'écriture
contrapuntique ( le contrepoint désigne la superposition organisée de lignes
mélodiques). Tout le morceau est fondé sur un seul sujet mais on le reprend en
canon (en contrepoint) par d’autres voix qui se superposent. Il a été très
utilisé à l’époque baroque, surtout par Bach. Ex : « Fugue en la mineur, à
quatre voix ».
Pour mieux comprendre, suivre sur You Tube les vidéos :
« C
comme contrepoint », explication du contrepoint, par Jean-François Zygel
« La Leçon de musique, Bach, la fugue », par Jean-François Zygel.
« La Leçon de musique, Bach, la fugue », par Jean-François Zygel.
Zygel explique donc que Bach nous oblige à suivre non pas « une
mélodie et son accompagnement »… mais « les deux voix en même temps…. On écoute
deux voix qui se combinent. »
L’art de la fugue et
Les Faux-Monnayeurs
1 Selon Guillaume Bardet et Dominique Caron, qui s’inspirent
de Guy Michaud, la composition des FM peut évoquer celle de la fugue par « la
reprise des éléments de l’histoire » : « On relève ainsi, par ordre
d’apparition, la révolte de Bernard puis les amours de Vincent, les deux thèmes se trouvant liés au chapitre 14 quand le premier va rejoindre
dans son l’hôtel, la maîtresse de Vincent. Le troisième fil est constitué par
les amours d’Edouard et d’Olivier et se trouve rattaché aux deux autres par le
personnage de Passavant. Enfin, le quatrième fil, celui de la bande des garçons
et du trafic de fausse-monnaie, qui n’apparaît qu’épisodiquement en I, 2, alors
qu’il semble donner son titre au roman, sera complètement déroulé au cours de
la dernière partie. » (p. 59)
Cela nous renvoie à la citation de Gide dans le JFM le 28
juillet 1919 : « Je tâche à enrouler les fils divers de l’intrigue et la
complexité de mes pensées autour de ces petites bobines vivantes que sont
chacun de mes personnages. »
2 On peut dire aussi que la multiplicité des voix narratives
chez Gide ressemble à la superposition des voix chez Bach.
3 On peut aussi interpréter la ressemblance avec une fugue en
pensant que le motif de la bande de garçons délinquants trafiquant la fausse
monnaie serait le sujet, relayé par des « réponses », le thème la fausse
monnaie, au sens moral du terme, mensonges, faux-semblants, hypocrisie.
4 Le thème du diable pourrait être aussi le sujet principal,
repris par des contrepoints qui seraient les actions qu’il inspire.
La métaphore de la fugue conviendrait donc bien à l’œuvre. Ce n'étaient que quelques pistes... A vous de les approfondir...