vendredi 11 mars 2016

Mathias Enard. Roman « Zone » : « Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie »

Article de Gisèle Durero-Koseoglu

C’est le titre du roman de Mathieu Enard, Zone (Actes Sud, Babel, 2008),  qui m’a fait acheter le livre, parce qu’avant de l’avoir lu, je pressentais que, comme dans le poème liminaire d’Alcools, de mon adoré  Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire, on allait y faire  « de douloureux et de joyeux voyages » (peu de joyeux, beaucoup de douloureux)… 

J’avais mis le roman dans mon sac comme ami éventuel pour affronter  un voyage en avion, j’ai commencé à le lire en salle d’embarquement, continué à le dévorer dans la navette entre l’autobus et l’avion –la seule à lire, dans cet autobus où les passagers s’entassent en piaffant, la main posée sur la poignée de leur bagage de cabine pour mieux courir  dès l’arrêt et gravir quatre à quatre l’escalier de l’avion comme s’ils redoutaient que l’appareil ne parte sans eux- puis avancé gloutonnement dans cette errance "kostrowitzkyenne", jusqu’à ce que le choc du train d’atterrissage sur la piste me signale que j’étais arrivée à Nice et qu’il fallait, à regret, abandonner momentanément la lecture du livre.



J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps
Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter 

Le roman ? Un immense flux de monologue intérieur, lors d’un voyage en train Milan-Rome, qui n’est pas sans rappeler La Modification de Michel Butor, dénué de points et de majuscules, une seule phrase, sauf pour trois chapitres, le 4, le 13 et le 20, extraits d'un livre racontant l'histoire d'Intissar ; au début, on bute sur les phrases, contraint de les relire une seconde fois pour en comprendre le sens, puis, on épouse le rythme de cette descente dans l’Hadès, découvrant progressivement l’identité du personnage, qui nous livre peu à peu des bribes de son passé et s’égare avec masochisme sur 517 pages dans ses souvenirs de guerrier, d’espion ou d’amoureux éconduit.

La phrase d’incipit, répétée plusieurs fois dans le roman, donne l’ambiance : « tout est plus difficile à l’âge d’homme ».

Le narrateur-personnage ? Francis Servain Mirkovic, « mouchard international… fonctionnaire de l’ombre… espion au service de la république », alcoolique, transportant une mallette « remplie de morts et de bourreaux »,  qu’il envisage de vendre au Vatican ; un personnage qui n’est plus qu’un « fantôme enfermé au royaume des morts »,  un « rejeton d’Hadès » et espère, une fois qu’il sera délesté de sa valise de souvenirs,  changer de vie et renaître avec le « passeport usurpé d’Yvan Deroy », dans « un endroit neuf sans souvenir sans ruine sous les pieds » ;  de moins en moins sympathique au fil des pages, un « monstre », comme le décrit une des femmes aimées, qui « arrive du bout du monde comme de l’enfer qui est en » lui.

Pourquoi « Zone » ?

Parce que le mot désigne la zone géographique qui a été celle du narrateur,  les personnages marginaux qu’il y a fréquentés et se réfère explicitement au poème d’Apollinaire par des citations, comme le « zinc » du bar sur lequel il s’appuie,  « le cou coupé sans soleil » ou « l’aveuglant soleil des cous coupés » dans la page d’excipit.

Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t’apercevoir du mensonge et de l’âge

Ce roman très documenté, hérissé de références aux combats de l’Iliade et aux dieux de la mythologie, nous conduit sur de légendaires champs de bataille d’hier ou d’aujourd’hui, avec leurs indicibles atrocités (inimaginables pour le lecteur moyen qui n’a pas connu la guerre et souvent détaillées avec complaisance, on a parfois envie de jeter le livre…)  comme les batailles d’Actium et de Lépante,  la campagne de Russie, la bataille des Dardanelles, les guerres d’Algérie, du Liban, de l’ex-Yougoslavie,  les opérations en Syrie, en Lybie, en Egypte ; les lieux de détention ou de déportation, comme le camp de Rivesaltes dans les Pyrénées Orientales, le camp de la Risiera à Trieste, le camp de Fossili en Italie, les camps de Sobibor et de Treblinka,  la prison de Palmyre en Syrie, les cellules de Guantanamo ; la déportation des Juifs de Rhodes, de Salonique et de Corfou…
Le roman dresse aussi les portraits d’anciens baroudeurs-combattants des guerres modernes qui émaillent les souvenirs du narrateur, personnages hauts en couleur : Intissar la Palestinienne, l’Israélien Nathan, le Libanais Ghassan, le Croate Andrija, le Dalmate Vlaho et même un incroyable « duc d’Auschwitz »…  ; évoque tous les criminels de guerre modernes et les supplices qu’ils ont infligés ; les artistes  maudits en proie à la violence ou à l’alcool comme Malcolm Lorry, William Burroughs, Brasillach, Jean Genêt, le peintre Le Caravage …
Bref, tout est fait pour nous convaincre que l’histoire n’est qu’une suite d’horreurs où les victimes se transforment en bourreaux, un « conte de bête féroce »…

Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans

Quant aux souvenirs des amours malheureuses du narrateur, dont une candeur inattendue sommeille sous la veulerie et la brutalité, rien ne les symbolise mieux  que le coup de pied dans les bijoux de famille que lui décoche une des trois femmes aimées sur un pont vénitien…

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

L’envoûtement opéré par le livre est de savoir relier, par de savantes transitions, les événements historiques aux états d’âme du narrateur et de mêler avec maestria  les références historiques et culturelles aux cris du cœur les plus sincères ; vulgairement dit, ça vous prend aux tripes, quand on a entamé la descente, on est prêt à dégringoler toutes les spirales des cercles de l’enfer, jusqu'au fond, dans l’abîme de l’abîme où étincelle la kunée de Pluton et la quenouille des Parques, dames dont il est souvent question.

Un roman triste et envoûtant, suintant de « la majestueuse tristesse » des tragédies.

Chef d’œuvre sans aucun doute, réservé à ceux et celles qui ont beaucoup lu dans leur vie – seront capables d’en affronter la violence- et cherchent, blasés parfois, les pages qui réussiront à leur fouetter le sang…  effet garanti, jusqu’à ce qu’on puisse dire enfin, ayant refermé le livre avec soulagement pour remonter vers la lumière : « Adieu Adieu Soleil cou coupé »


Mon site Gisèle Ecrivaine d'Istanbul
Mon blog Gisèle Durero-Koseoglu, écrivaine d'Istanbul

                    

lundi 22 février 2016

Combescot. Le plan magistral du roman « Les Filles du Calvaire »

Article de Gisèle Durero-Koseoglu

Avouons que je n’avais pas lu le roman Les Filles du Calvaire lorsqu’il obtint le prix Goncourt, en 1991. Or, récemment, alors que nous discutions ensemble du schéma du roman Dora Bruder, de Modiano, une personne dont j’apprécie l’analyse littéraire me dit : « J’adore ce genre de construction romanesque. C’est un peu comme dans le roman Les Filles du Calvaire ».

Me voilà donc en quête du livre, acheté le jour même chez les bouquinistes et j’avoue que je l’ai dévoré aussitôt, me laissant emporter dans cette baroque profusion de personnages hétéroclites, comme les souteneurs, les prostituées des deux sexes, les artistes de cirque, s’exprimant parfois en un argot chatoyant, sans toutefois parvenir à démêler l’incroyable écheveau de son plan magistral. C’est pourquoi j’ai repris le livre en main pour une seconde lecture, mais en prenant des notes, cette fois. Car j’aime bien aller farfouiller dans le tréfonds des œuvres qui me plaisent pour tenter, non de percer leur secret de fabrication, ce qui serait présomptueux, mais du moins d’en apercevoir le reflet sur la paroi de la caverne.


Le premier chapitre, « Aux trapézistes », commence à Paris dans les années 1960, avec la présentation d’une matrone « sans âge », « confortable dans sa graisse violacée, flambante de toute sa chevelure », Maud Boulafière, alias Rachel Aboulafia,  trônant à la caisse du Café Les Trapézistes. Bien vite, le lecteur apprend  que cette « éponge vénéneuse », impliquée dans le scandale des « fausses communiantes », a été arrêtée pour proxénétisme.
Une cascade de retours en arrière s’enchaîne alors pour présenter les autres personnages du récit, depuis leur jeunesse jusqu’au moment où, de près ou de loin, ils sont entrés dans l’univers de Maud Boulafière, comme la mercière Madame Rebichou veuve d’Amédée, le clown Eduardo Scabanelli dit « Chipolata », dont la fille Yvonne a disparu après une histoire d’amour avec Max le dompteur, le policier Le Chinois, Dédé, le compagnon de Maud depuis trente ans, Bolko, l’ancien SS ou le mariage, jadis, de la mercière Rebichou et Amédée, passionné de dentelles, pour finir en boucle sur l’arrestation de Maud.


Le second chapitre, « Une saison à la Goulette », est constitué d’un immense flashback se passant à Tunis lors de la Première Guerre mondiale et mettant en scène la grand-mère de Maud Boulafière, Emma, belle juive de Tunis, si éclatante dans sa rousseur qu’on l’accuse d’être Lilith. On apprend d’emblée que veuve d’Abraham, elle a donné naissance à une fille, Léa, qui a épousé le boucher kasher, dont elle a eu elle-même des jumelles,  Rachel et Rebecca et que Léa et ses filles ont quitté Tunis en 1939, avec un rabbin, fiancé de Rebecca suite à quoi,  plus personne n’a jamais entendu parler de la famille à Tunis. De nouveau, les analepses se succèdent pour décrire les relations entre Emma et sa fille Léa, le lien entre Emma et Raymond Chuin, dont elle est la marraine de guerre, puis le lien d’Emma avec Loulou, avec lequel elle passe ses quinze dernières années. Pour finir, une rétrospective plus longue présente la jeunesse de Rachel,  la préférée de sa grand-mère Emma, qui se reconnaît en cette superbe rousse que l’on soupçonne aussi d’être une incarnation de Lilith et on remonte progressivement dans le temps pour arriver en 1939, lorsque Rachel est devenue adulte.




Le troisième chapitre, « Une joyeuse collaboration », commence en 1939 à Paris. Lors du voyage en France avec sa mère Léa et sa sœur, après un séjour à Nice où se noue une idylle avec un bel Italien qui n’est autre que le fils du clown rencontré au premier chapitre, Rachel fausse compagnie à sa famille et se réfugie à Paris chez un certain Raymond Chuin, vieilli, désespéré par l’abandon de Dédé, qu’il considérait comme son fils adoptif et qui tient un claque pour homosexuels nommé la « Pension Emma ».  Les multiples liens se resserrent pour faire rentrer en contact Rachel avec d’autres personnages évoqués dans les chapitres précédents, comme Le Chinois, qui lui donne de faux papiers au nom de Maud Boulafière, le SS Bolko, Amédée, Madame Ivana, Victor Cabanel, patron du Tabarin, un cabaret où Rachel est engagée comme danseuse nue, ce qui va lui permettre  d’espionner au compte du Chinois la clientèle interlope des bas-fonds de la collaboration, en particulier Thierry le Cailar et Mireille Cutolli. Finalement, Maud, enceinte de Dino, sur les conseils du Chinois, envoie sa fille à Dino pour qu’il l’élève et prend la direction d’un café aux Filles du Calvaire.


Le quatrième chapitre,  « Petite chronique des martyrs », effectue une ellipse narrative de vingt ans pour passer de 1945 à 1960 et nous offrir en réalité à la suite du premier chapitre. Il s’ouvre sur les aventures du boucher Joseph Tardiveau,  patron du Bœuf Couronné, qui devient végétarien, et de sa femme Yvonne, qui se console de la désaffection de son époux en chantant de l’opéra. Après moult retours en arrière expliquant le parcours respectif des personnages du troisième chapitre et les raisons de l’arrestation de Maud, la fin tragique de sa  mère Léa, on explicite, dans un autre retour en arrière en abyme, les raisons de l’ancienne disparition d’Yvonne, qui  enceinte de Max le dompteur, avait abandonné son fils Marceau. Ce dernier réapparaît d’ailleurs et se met à travailler dans la boucherie. Un épilogue fait la synthèse du destin de tous les personnages du livre et entraîne encore le lecteur de surprises en surprises, pour finalement, se terminer dans le monde du cirque.


Ce récit joue aussi abondamment sur le langage, ne serait-ce que par les jeux de mots dans le nom des personnages, comme « Boulafière », celle qui fait souffrir les hommes, « Cuttoli » la femme légère, « Painlevé » celle qui n’a rien à manger, « Tardiveau » le boucher, « Rageblanc » la crémière… 

Il déploie aussi une imagination hors du commun dans les anecdotes et les situation insolites : les mères n’y sont pas très maternelles – Emma déteste sa fille Léa, Léa déteste Rachel, Rachel abandonne sa fille Yvonne, Yvonne abandonne son fils Marceau-, les couples y sont inattendus –la mercière en couple avec l’homosexuel Amédée, Emma en couple avec l’homosexuel Loulou, Rachel en couple avec l’homosexuel Dédé. Mais ce qui m’a le plus impressionnée dans la lecture est l’art, porté au paroxysme, du récit enchâssé et de la mise en abyme.




Les Filles du calvaire ? Un roman élaboré avec maestria, dont les épisodes s’emboîtent en gigogne comme des « matriochkas » et qui au final, évoque pour moi, avec ses centaines de fils qui s’entrecroisent, une gigantesque mais subtile toile d’Arachné.


Vous pouvez aussi suivre mon blog Gisèle écrivaine d'istanbul
http://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/



dimanche 14 février 2016

Sevgililer günü.Juliette Drouet, Victor Hugo’nun esin perisi…

Ünlü Fransız ozanı Victor Hugo otuz yaşındayken Lucrèce Borgia piyesinde oynayan kadın oyuncu Juliette Drouet ile tanıştığında şiirleri ve tiyatro oyunlarıyla zaten tanınıyordu.
İlk görüşte kapıldıkları bu yıldırım aşkından elli yıl sürecek bir aşk ilişkisi doğacak, Victor Hugo hayatı boyunca en dokunaklı şiirlerini onun için yazacaktır.


Ruhum kalbini sevdi, diye yazar Juliette’e.
Aşkımın seni rahatsız etmemesi için her şeyi yapabilirim.

Sana gizlice bakıyorum. Sen beni görmediğin zaman sana gülümsüyorum, diye ona yanıt verir Juliette.




Çünkü Juliette bundan böyle tüm hayatını Victor Hugo’nun gölgesinde geçirecektir. Gerçekten de evli olan Hugo karısı ve beş çocuğu ile birlikte yaşamayı hep sürdürür. Juliette ise sayısız taşınmalar boyunca her zaman âşığının yerleştiği sokağın yakınındaki sokakta oturacaktır. Hugo’ya olan aşkı nedeniyle, onun isteği üzerine tiyatroyu bırakır. Artık çok gözaşıcı giysiler giymemeyi, o yanında olmadıkça evden çıkmamayı kabul eder. Ya Victor’u görmediği zamanlar Juliette günlerini nasıl geçirir? Büyük yazarın elyazmalarını kopya eder! Her zaman Hugo’nun ilk okuyucusu ve edebiyat danışmanı olur. Hugo’ya aşk mektupları yazar. Hem de günde birçok mektup. Ona toplam 20 000 mektup yazar!



Juliette Drouet birçok şeye dayanmak zorunda kalır. Özellikle âşığının sayısız sadakatsizliğine. Çünkü kadınlar sadece şiirlerini okuyarak Hugo’ya âşık olurlar ve ozanın hayatını doldurmayı sürdürürler. Hatta Hugo karısı’ila birlikte yaşadıkları eve gizli bir kapı yaptırır ve metreslerini o kapıdan içeri alır. Juliette birçok kez onu terk eder ama her seferinde Hugo arkasından gider ve ona şu tumturaklı yemini yineler: Bizim hayatlarımız sonsuza dek birbirine bağlı kalacak.

1851’de III.Napolyon erki eline alınca cumhuriyetçi ve imparatorun acımasız politikasına karşı olan Victor Hugo’nun hayatı tehlikededir. İmparatorun tüm polis gücü onun peşindedir. Juliette onu saklar, ona sahte pasaport sağlar ve sınırı geçmesine yardımcı olur. Hugo’nun tüm yapıtlarının bulunduğu ünlü el yazmaları bavulunu kurtaran da odur. Hugo ailesiyle beraber bir İngiliz-Normand adası olan Guernesey’de on dokuz yıl sürecek sürgünün yolunu tutar. Elbette Juliette de onun peşinden Atlantik okyanusunun içinde kaybolmuş bu küçük kara parçasına gider ve yine onunkine yakın bir sokağa yerleşir. İkinci imparatorluğun düşüşünden sonra ünlü âşığı sonunda Fransa’ya dönünce ancak o da Guernesey adasından ayrılır.

Victor Hugo ve Juliette hayatları boyunca “Yıldönümü kitabı” adını verdikleri kırmızı bir defter tutarlar, bu deftere her yıl kutlu gecenin yani 16 Şubat 1833 tarihindeki ilk aşk gecelerinin yıldönümünü anmak için bir metin yazarlar. O gün Victor Hugo’nun şöyle bir not yazdığını görüyoruz:

26 Şubat 1802’de dünyaya geldim, 16 Şubat 1833’de senin kollarında mutluluğa erdim. İlk tarih sadece hayata başlamak, ikinci ise aşka. Sevmek yaşamaktan daha fazla bir şey…






16 Şubat 1883’de Hugo şöyle yazıyor:  Elli yıl aşk, evliliklerin en güzeli.




O yıl Juliette ölür, Victor iki yıl daha yaşar. Juliette’in mezar taşına şunu yazdırır:

Artık sadece soğuk bir kül olduğumda
Yorgun gözlerim temelli kapandığında
Söyle kendine anım kalmışsa yüreğinde:
El ne derse desin onun aşkın var bende!







Article de Gisèle Durero-Koseoglu

Saint-Valentin. Fabuleuses amours d'écrivains fabuleux !


Les histoires d’amour des écrivains sont parfois hors norme. C’est pour cela qu’en ce jour de Saint-Valentin, j’ai envie de vous en raconter quelques-unes,  dont le point commun n’est autre que : l’amour se moque de l’âge.
Lecteur, lectrice, c’est le moment de laisser tes préjugés à la porte !

Montaigne, 55 ans, Marie de Gournay, 23 ans…



Lorsque l’année de ses dix-huit ans, Marie, jeune fille très intellectuelle et féministe pour son époque, découvre les Essais de Montaigne, elle est tellement envoûtée par l’œuvre qu’elle ne rêve plus que de rencontrer… l’homme. Ce n’est que cinq ans plus tard qu’elle lui écrit enfin ; Montaigne la rencontre dès le lendemain. Leur histoire ?  Je ne regarde plus qu’elle au monde, confie Montaigne ! Quant à ses sentiments  à elle, Montaigne évoquera avec nostalgie  la véhémente façon dont elle (l’)aima et (le) désira longtemps...




 Car Montaigne est marié et Marie a une mère qui la surveille. Les amoureux doivent donc se résoudre à la séparation. Pour se consoler, Montaigne, même s’il avoue l’aimer plus que paternellement,  fera d’elle sa «  fille d’alliance ». Ils ne se verront plus mais continueront de s’écrire. Et à la mort du grand écrivain, ce sera elle qui publiera la première édition posthume des Essais, celle que l'on nomme 

Diderot et Sophie Volland : le grand amour à la quarantaine …

Il a 41 ans, il est marié, il travaille à l’Encyclopédie ; elle a 38 ans, elle est, à l’époque, ce que l’on nomme une « vieille fille ». Elle s’appelle « Louise-Henriette » mais Diderot la rebaptise « Sophie », du nom du personnage de sa pièce, Le Fils naturel. Leur relation passionnée dure cinq ans. Mais un jour, drame !
Madame Volland surprend les amoureux ensemble, et surcroît de malchance, Madame Diderot découvre une lettre de Sophie à son mari. Alors, tombe le verdict : Madame Volland emmène Sophie sur ses terres et Madame Diderot menace, en cas de divorce, d’interdire à Diderot de voir Angélique, sa fille chérie !



En l'absence de portrait de Sophie Volland, j'ai utilisé le portrait de Sophie Arnould, grande actrice du XVIII e siècle peinte par Greuze en 1773.

C’est à partir de ce moment que Diderot développe la métaphore d’Héloïse et Abélard pour évoquer leur amour. Les deux amants n’ont plus qu’une solution pour continuer à communiquer : s’écrire ! 



Portrait de Diderot par Van Loo en 1767

Ce qui nous a valu une des plus belles correspondances de la littérature française, les Lettres de Diderot à Sophie Volland

Et aussi de sublimes mots d’amour : Avec vous, je sens, j’aime, j’écoute, je regarde, je caresse, j’ai une sorte d’existence que je préfère à toute autre. Si vous me serrez dans vos bras, je jouis d’un bonheur au delà duquel je n’en conçois point. Il y a quatre ans que vous me parûtes belle ; aujourd’hui je vous trouve plus belle encore ; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus.

Quant aux lettres de Sophie ? Perdues…  Ils mourront à cinq mois d’intervalle l’un de l’autre.

Laure de Berny, 45 ans, Honoré de Balzac, 23 ans…


Laure de Berny peinte par Henri-Nicolas Von Gorp

L’année de ses 22 ans, Balzac tombe amoureux de Laure de Berny. Qui est donc cette dame pour laquelle le jeune Honoré va éprouver la grande passion de sa jeunesse ? Née douze ans avant la Révolution française, elle est la fille du professeur de harpe de la reine Marie-Antoinette ;  notons au passage qu’elle a un an de plus que la mère de Balzac et a mis au monde neuf enfants… Quant à Balzac, grand lecteur de Rousseau, aurait-il reconnu en Laure une nouvelle Madame de Warens ? Pendant longtemps, Laure de Berny repousse les déclarations enflammées d’Honoré,  qui n’a qu’un seul souhait : Etre célèbre et être aimé… Mais, en 1822, elle finit par s’abandonner à ce grand amour, qui va faire scandale. Elle sera pour Honoré une mère (la mère de Balzac avait trente-deux ans de moins que son époux et n’avait jamais manifesté de tendresse à Honoré, né de son mariage malheureux, alors qu’elle chérissait son autre fils, qu’elle avait eu avec son amant... Pauvre Honoré…), une confidente, une amie, une conseillère, une maîtresse et un soutien. Pendant la douzaine d’années que durera leur liaison, elle l’introduit dans tous les milieux qu’il décrira ensuite dans ses romans.



Celle que Balzac surnomma « La Dilecta » (l’aimée), sera aussi sa muse : elle servira de modèle à Madame de Mortsauf dans le roman, en grande partie autobiographique, Le Lys dans la vallée, qu’elle aura d’ailleurs le bonheur de lire peu avant sa mort : Elle fut non pas la bien aimée, mais la plus aimée…  Le lys, c’était elle… Puis, elle inspirera aussi le personnage de Madame de Bargeton, dans Les Illusions perdues. Après la mort de Laure, Balzac écrira :

 « La personne que j’ai perdue était plus qu’une mère, plus qu’une amie, plus que toute créature peut être pour une autre (…). Elle m’avait soutenu de parole, d’action, de dévouement pendant les grands orages. Si je vis, c’est par elle. Elle était tout pour moi... »


George Sand et Jules Sandeau : quand l’amour fait naître une écrivaine…




Portrait de George Sand par Auguste Charpentier en 1838

On connaît les amours tumultueuses de George Sand avec Alfred de Musset ou Frédéric Chopin. Mais on oublie trop souvent de parler de sa liaison avec Jules Sandeau. Elle revêtit pourtant une importance capitale dans la vie de l’écrivaine car elle fut à l’origine de la métamorphose qui transforma Aurore Dupin en George Sand !

Après neuf ans de mariage avec Casimir Dudevant, dont elle eut deux enfants, Aurore Dupin fait scandale en quittant son époux pour suivre à Paris son jeune amant, Jules Sandeau, alors âgé de dix-neuf ans. 



Tous deux, ils donnent au Figaro des articles signés « J. Sand », puis écrivent ensemble deux romans, Le Commissionnaire  (1830) et Rose et Blanche (1831). C’est à cette époque que la romancière commence à porter des habits d’homme. La raison ? Son époux lui a « coupé les vivres » et porter un vêtement masculin coûte bien moins cher que se revêtir des robes compliquées des dames de cette époque. 
Au fur et à mesure qu’Aurore devient plus célèbre,  la liaison avec Sandeau se dégrade. Mais elle continuera pourtant à utiliser leur pseudonyme ; en 1832, elle écrit seule Indiana et signe « G. Sand » ; c’est un immense succès ! L’an d’après, lorsqu'elle publie Lélia, autre « best-seller » condamnant le mariage, Aurore (qui quitte Jules Sandeau) a définitivement adopté  le nom de « George (sans « s ») Sand !


Marguerite Duras et Yann Andréa : 38 ans de différence !

Elle l’a racontée dans son livre Yann Andréa Steiner, en 1992.
Il l’a  racontée dans son livre, Cet amour-là, en 1999.
Quoi ? Me demanderez-vous ?
Leur extraordinaire histoire d’amour.
La plus étonnante, sans doute, de toutes celles que je viens de vous raconter...

L’année de ses vingt ans, lorsque Yann Andréa découvre le livre de Marguerite Duras, Les Petits chevaux de Tarquinia, il n’est rien moins que subjugué. Deux ans plus tard, lors de la projection du film de Marguerite Duras, Indian Song, il parvient à faire connaissance avec elle, ils vont boire un pot ensemble.  Il lui écrira ensuite de nombreuses,  elle ne répond jamais. Mais le jour où, en 1980,  il cesse de lui écrire, Marguerite s’inquiète. Et cette fois, c’est elle qui lui écrit. La suite ? 16 ans de vie commune, jusqu’à la mort de Marguerite Duras. Il a alors 28 ans et elle, 66 !
Yann Andréa se consacrera entièrement à Marguerite ; quant à elle, elle le métamorphosera en personnage littéraire et en héros de film…



Marguerite Duras et Yann Andrea en 1991


Si vous êtes seul(e), trahi(e), abandonné (e), bref, si vous ne croyez plus à l’amour… espérons que la lecture de ces lignes vous aura un peu remonté le moral….