samedi 9 avril 2016

Baudelaire. Né le 9 avril 1821 : Ténébreux pétale des Fleurs du mal


 Article de Gisèle Durero-Koseoglu

Section Spleen et Idéal

                                                     Baudelaire par Etienne Carjat en 1863

La malédiction du poète

Etre d’exception, il n’en est pas moins maudit. Sa naissance est un drame pour sa mère.

« Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu qui la prend en pitié » Bénédiction



Il est incompris par la société bourgeoise qui le rejette 
« Exilé sur le sol au milieu des nuées
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher » L’Albatros.

Mais il accède à l’idéal par la poésie.
« Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
Qui plane sur la vie et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes »  Elévation

Spleen et Idéal

Pas de beauté moderne sans souffrance ! Baudelaire établit une douloureuse correspondance entre la création et le malheur. 
«  Je ne prétends pas que la joie ne puisse s’associer avec la Beauté mais je dis que la joie en est un des ornements les plus vulgaires, tandis que la mélancolie en est, pour ainsi dire, l’illustre compagne » ( Mon Coeur mis à nu)

Il célèbre une nouvelle sorte de beauté « moderne » qui ne se limite pas aux choses considérées comme belles par la tradition

« Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,
O beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton œil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte
D’un infini que j’aime et n’ai jamais connu ? Hymne à la beauté

C’est grâce à sa souffrance qu’il mérite le salut, au sens religieux.

« Soyez beni, mon Dieu, qui donnez la souffrance 
Comme un divin remède à nos impuretés » Bénédiction

                                                        Baudelaire par Nadar en 1855

 Le spleen

Le poète souffre de spleen et d’obsession de la mort. Ce sentiment est exprimé chez lui de façon brutale par des métaphores de « gouffre… chute… tombe… froid… humidité… squelette… cadavre... vers... »

« Moi, mon âme est fêlée…
 Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie » La Cloche fêlée

« Je suis un cimetière abhorré par la lune » Spleen 60

« Et d’anciens corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; et l’Espoir
Pleurant comme un vaincu, l’Angoisse despotique
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir » Spleen 62 



Il est hanté par la fuite du temps, qui est souvent personnifiée de façon effrayante, avec des verbes indiquant une ingestion, tels que « dévorer… engloutir… avaler… manger... » 

« Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur » L’ennemi  

« Le Temps est un joueur avide, qui gagne sans tricher, à tout coup ! » L’Horloge

« L’Irréparable ronge avec sa dent maudite. » L’Irréparable

L’automne, saison de prédilection, est aussi celle où la fuite du temps est ressentie de la façon la plus tragique.

« Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui – C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. » Chant d’automne

« Ô blafardes saisons, reines de nos climats ! Brumes et pluies

Charles et les femmes

 La femme sert de médiatrice au poète pour échapper au spleen.

« Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne vaut l’abîme de ta couche ;
L’oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers » Le Léthé

« J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime,
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé » De profundis clamavi


Les poèmes inspirés par Jeanne Duval célèbrent sa beauté et sa sensualité.

« Bizarre déité, brune comme les nuits » Sed non satiata
« Que j’aime voir, belle indolente
De ton corps si beau
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau ! » Le Serpent qui danse

« Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne » Les Bijoux



Elle est souvent à la source d’un rêve d’exotisme
« Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux » Parfum exotique

« Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur ou frémit l’éternelle chaleur » La Chevelure

« Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,
Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. » Le Beau navire

                                                Jeanne Duval par Edouard Manet en 1862

Elle est associée au parfum, qui suscite un voyage imaginaire

« Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron...
Comme  d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! vogue sur ton parfum » La Chevelure

Elle est aussi idéalisée dans un amour platonique, comme Marie Daubrun



« Je suis l’Ange gardien, la Muse et la Madone » Poème 37

Mais la femme ne comprend pas toujours le poète, à l'instar d'Apollonie Sabatier

« Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse ? » Réversibilité

                              Statue de Madame Sabatier sculptée par Auguste Clésinger en 1847

Elle est parfois dangereuse ou cruelle.

« Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… » Le Poison
« Tu ressembles ces jours blancs, tièdes et voilés
Qui font se fondre en pleurs les cœurs ensorcelés,
Quand, agités d’un mal inconnu qui les tord,
Les nerfs trop éveillés raillent l’esprit qui dort » Ciel brouillé

« Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;
Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu ravagé
Par la griffe et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon cœur ; des monstres l’ont mangé » Causerie

Elle est comparée à un chat

« Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique …
Je vois ma femme en esprit ; son regard
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard » Le Chat

                    Image de Margarita GarciaAlonso, 2014, https://garciaalonsomargarita.wordpress.com

Le poète rêve d’un amour idéal qu’il ne trouve pas dans la réalité

« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble ;
Aimer à loisir
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble » L’Invitation au voyage

                                                            Baudelaire par Nadar 

Cet amour semble toujours contrarié ou perdu ou rêvé.

« Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir » Harmonie du soir

« Les soirs illuminés par l’odeur du charbon
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses ;
Que ton sein m’était doux ! Que ton cœur m’était bon ! » Le Balcon

                                               Baudelaire par Etienne Carjat vers 1863

Charles, poète différent


Baudelaire cultive sa différence. En se proposant « d’extraire la beauté du Mal », il cherche délibérément à créer une œuvre originale, comme l’indique sa  correspondance. C’est pour cela qu’il utilise une rhétorique savante faite de comparaisons et métaphores inédites, allégories, oxymores, rimes novatrices…

                     Composition de KatarinaRss, "Baudelaire et ses fleurs", Deviant Art, 2012.


Joyeux 195ème anniversaire, Charles ! De toute façon, tu es immortel !

vendredi 11 mars 2016

Mathias Enard. Roman « Zone » : « Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie »

Article de Gisèle Durero-Koseoglu

C’est le titre du roman de Mathieu Enard, Zone (Actes Sud, Babel, 2008),  qui m’a fait acheter le livre, parce qu’avant de l’avoir lu, je pressentais que, comme dans le poème liminaire d’Alcools, de mon adoré  Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire, on allait y faire  « de douloureux et de joyeux voyages » (peu de joyeux, beaucoup de douloureux)… 

J’avais mis le roman dans mon sac comme ami éventuel pour affronter  un voyage en avion, j’ai commencé à le lire en salle d’embarquement, continué à le dévorer dans la navette entre l’autobus et l’avion –la seule à lire, dans cet autobus où les passagers s’entassent en piaffant, la main posée sur la poignée de leur bagage de cabine pour mieux courir  dès l’arrêt et gravir quatre à quatre l’escalier de l’avion comme s’ils redoutaient que l’appareil ne parte sans eux- puis avancé gloutonnement dans cette errance "kostrowitzkyenne", jusqu’à ce que le choc du train d’atterrissage sur la piste me signale que j’étais arrivée à Nice et qu’il fallait, à regret, abandonner momentanément la lecture du livre.



J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps
Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter 

Le roman ? Un immense flux de monologue intérieur, lors d’un voyage en train Milan-Rome, qui n’est pas sans rappeler La Modification de Michel Butor, dénué de points et de majuscules, une seule phrase, sauf pour trois chapitres, le 4, le 13 et le 20, extraits d'un livre racontant l'histoire d'Intissar ; au début, on bute sur les phrases, contraint de les relire une seconde fois pour en comprendre le sens, puis, on épouse le rythme de cette descente dans l’Hadès, découvrant progressivement l’identité du personnage, qui nous livre peu à peu des bribes de son passé et s’égare avec masochisme sur 517 pages dans ses souvenirs de guerrier, d’espion ou d’amoureux éconduit.

La phrase d’incipit, répétée plusieurs fois dans le roman, donne l’ambiance : « tout est plus difficile à l’âge d’homme ».

Le narrateur-personnage ? Francis Servain Mirkovic, « mouchard international… fonctionnaire de l’ombre… espion au service de la république », alcoolique, transportant une mallette « remplie de morts et de bourreaux »,  qu’il envisage de vendre au Vatican ; un personnage qui n’est plus qu’un « fantôme enfermé au royaume des morts »,  un « rejeton d’Hadès » et espère, une fois qu’il sera délesté de sa valise de souvenirs,  changer de vie et renaître avec le « passeport usurpé d’Yvan Deroy », dans « un endroit neuf sans souvenir sans ruine sous les pieds » ;  de moins en moins sympathique au fil des pages, un « monstre », comme le décrit une des femmes aimées, qui « arrive du bout du monde comme de l’enfer qui est en » lui.

Pourquoi « Zone » ?

Parce que le mot désigne la zone géographique qui a été celle du narrateur,  les personnages marginaux qu’il y a fréquentés et se réfère explicitement au poème d’Apollinaire par des citations, comme le « zinc » du bar sur lequel il s’appuie,  « le cou coupé sans soleil » ou « l’aveuglant soleil des cous coupés » dans la page d’excipit.

Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t’apercevoir du mensonge et de l’âge

Ce roman très documenté, hérissé de références aux combats de l’Iliade et aux dieux de la mythologie, nous conduit sur de légendaires champs de bataille d’hier ou d’aujourd’hui, avec leurs indicibles atrocités (inimaginables pour le lecteur moyen qui n’a pas connu la guerre et souvent détaillées avec complaisance, on a parfois envie de jeter le livre…)  comme les batailles d’Actium et de Lépante,  la campagne de Russie, la bataille des Dardanelles, les guerres d’Algérie, du Liban, de l’ex-Yougoslavie,  les opérations en Syrie, en Lybie, en Egypte ; les lieux de détention ou de déportation, comme le camp de Rivesaltes dans les Pyrénées Orientales, le camp de la Risiera à Trieste, le camp de Fossili en Italie, les camps de Sobibor et de Treblinka,  la prison de Palmyre en Syrie, les cellules de Guantanamo ; la déportation des Juifs de Rhodes, de Salonique et de Corfou…
Le roman dresse aussi les portraits d’anciens baroudeurs-combattants des guerres modernes qui émaillent les souvenirs du narrateur, personnages hauts en couleur : Intissar la Palestinienne, l’Israélien Nathan, le Libanais Ghassan, le Croate Andrija, le Dalmate Vlaho et même un incroyable « duc d’Auschwitz »…  ; évoque tous les criminels de guerre modernes et les supplices qu’ils ont infligés ; les artistes  maudits en proie à la violence ou à l’alcool comme Malcolm Lorry, William Burroughs, Brasillach, Jean Genêt, le peintre Le Caravage …
Bref, tout est fait pour nous convaincre que l’histoire n’est qu’une suite d’horreurs où les victimes se transforment en bourreaux, un « conte de bête féroce »…

Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans

Quant aux souvenirs des amours malheureuses du narrateur, dont une candeur inattendue sommeille sous la veulerie et la brutalité, rien ne les symbolise mieux  que le coup de pied dans les bijoux de famille que lui décoche une des trois femmes aimées sur un pont vénitien…

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

L’envoûtement opéré par le livre est de savoir relier, par de savantes transitions, les événements historiques aux états d’âme du narrateur et de mêler avec maestria  les références historiques et culturelles aux cris du cœur les plus sincères ; vulgairement dit, ça vous prend aux tripes, quand on a entamé la descente, on est prêt à dégringoler toutes les spirales des cercles de l’enfer, jusqu'au fond, dans l’abîme de l’abîme où étincelle la kunée de Pluton et la quenouille des Parques, dames dont il est souvent question.

Un roman triste et envoûtant, suintant de « la majestueuse tristesse » des tragédies.

Chef d’œuvre sans aucun doute, réservé à ceux et celles qui ont beaucoup lu dans leur vie – seront capables d’en affronter la violence- et cherchent, blasés parfois, les pages qui réussiront à leur fouetter le sang…  effet garanti, jusqu’à ce qu’on puisse dire enfin, ayant refermé le livre avec soulagement pour remonter vers la lumière : « Adieu Adieu Soleil cou coupé »


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lundi 22 février 2016

Combescot. Le plan magistral du roman « Les Filles du Calvaire »

Article de Gisèle Durero-Koseoglu

Avouons que je n’avais pas lu le roman Les Filles du Calvaire lorsqu’il obtint le prix Goncourt, en 1991. Or, récemment, alors que nous discutions ensemble du schéma du roman Dora Bruder, de Modiano, une personne dont j’apprécie l’analyse littéraire me dit : « J’adore ce genre de construction romanesque. C’est un peu comme dans le roman Les Filles du Calvaire ».

Me voilà donc en quête du livre, acheté le jour même chez les bouquinistes et j’avoue que je l’ai dévoré aussitôt, me laissant emporter dans cette baroque profusion de personnages hétéroclites, comme les souteneurs, les prostituées des deux sexes, les artistes de cirque, s’exprimant parfois en un argot chatoyant, sans toutefois parvenir à démêler l’incroyable écheveau de son plan magistral. C’est pourquoi j’ai repris le livre en main pour une seconde lecture, mais en prenant des notes, cette fois. Car j’aime bien aller farfouiller dans le tréfonds des œuvres qui me plaisent pour tenter, non de percer leur secret de fabrication, ce qui serait présomptueux, mais du moins d’en apercevoir le reflet sur la paroi de la caverne.


Le premier chapitre, « Aux trapézistes », commence à Paris dans les années 1960, avec la présentation d’une matrone « sans âge », « confortable dans sa graisse violacée, flambante de toute sa chevelure », Maud Boulafière, alias Rachel Aboulafia,  trônant à la caisse du Café Les Trapézistes. Bien vite, le lecteur apprend  que cette « éponge vénéneuse », impliquée dans le scandale des « fausses communiantes », a été arrêtée pour proxénétisme.
Une cascade de retours en arrière s’enchaîne alors pour présenter les autres personnages du récit, depuis leur jeunesse jusqu’au moment où, de près ou de loin, ils sont entrés dans l’univers de Maud Boulafière, comme la mercière Madame Rebichou veuve d’Amédée, le clown Eduardo Scabanelli dit « Chipolata », dont la fille Yvonne a disparu après une histoire d’amour avec Max le dompteur, le policier Le Chinois, Dédé, le compagnon de Maud depuis trente ans, Bolko, l’ancien SS ou le mariage, jadis, de la mercière Rebichou et Amédée, passionné de dentelles, pour finir en boucle sur l’arrestation de Maud.


Le second chapitre, « Une saison à la Goulette », est constitué d’un immense flashback se passant à Tunis lors de la Première Guerre mondiale et mettant en scène la grand-mère de Maud Boulafière, Emma, belle juive de Tunis, si éclatante dans sa rousseur qu’on l’accuse d’être Lilith. On apprend d’emblée que veuve d’Abraham, elle a donné naissance à une fille, Léa, qui a épousé le boucher kasher, dont elle a eu elle-même des jumelles,  Rachel et Rebecca et que Léa et ses filles ont quitté Tunis en 1939, avec un rabbin, fiancé de Rebecca suite à quoi,  plus personne n’a jamais entendu parler de la famille à Tunis. De nouveau, les analepses se succèdent pour décrire les relations entre Emma et sa fille Léa, le lien entre Emma et Raymond Chuin, dont elle est la marraine de guerre, puis le lien d’Emma avec Loulou, avec lequel elle passe ses quinze dernières années. Pour finir, une rétrospective plus longue présente la jeunesse de Rachel,  la préférée de sa grand-mère Emma, qui se reconnaît en cette superbe rousse que l’on soupçonne aussi d’être une incarnation de Lilith et on remonte progressivement dans le temps pour arriver en 1939, lorsque Rachel est devenue adulte.




Le troisième chapitre, « Une joyeuse collaboration », commence en 1939 à Paris. Lors du voyage en France avec sa mère Léa et sa sœur, après un séjour à Nice où se noue une idylle avec un bel Italien qui n’est autre que le fils du clown rencontré au premier chapitre, Rachel fausse compagnie à sa famille et se réfugie à Paris chez un certain Raymond Chuin, vieilli, désespéré par l’abandon de Dédé, qu’il considérait comme son fils adoptif et qui tient un claque pour homosexuels nommé la « Pension Emma ».  Les multiples liens se resserrent pour faire rentrer en contact Rachel avec d’autres personnages évoqués dans les chapitres précédents, comme Le Chinois, qui lui donne de faux papiers au nom de Maud Boulafière, le SS Bolko, Amédée, Madame Ivana, Victor Cabanel, patron du Tabarin, un cabaret où Rachel est engagée comme danseuse nue, ce qui va lui permettre  d’espionner au compte du Chinois la clientèle interlope des bas-fonds de la collaboration, en particulier Thierry le Cailar et Mireille Cutolli. Finalement, Maud, enceinte de Dino, sur les conseils du Chinois, envoie sa fille à Dino pour qu’il l’élève et prend la direction d’un café aux Filles du Calvaire.


Le quatrième chapitre,  « Petite chronique des martyrs », effectue une ellipse narrative de vingt ans pour passer de 1945 à 1960 et nous offrir en réalité à la suite du premier chapitre. Il s’ouvre sur les aventures du boucher Joseph Tardiveau,  patron du Bœuf Couronné, qui devient végétarien, et de sa femme Yvonne, qui se console de la désaffection de son époux en chantant de l’opéra. Après moult retours en arrière expliquant le parcours respectif des personnages du troisième chapitre et les raisons de l’arrestation de Maud, la fin tragique de sa  mère Léa, on explicite, dans un autre retour en arrière en abyme, les raisons de l’ancienne disparition d’Yvonne, qui  enceinte de Max le dompteur, avait abandonné son fils Marceau. Ce dernier réapparaît d’ailleurs et se met à travailler dans la boucherie. Un épilogue fait la synthèse du destin de tous les personnages du livre et entraîne encore le lecteur de surprises en surprises, pour finalement, se terminer dans le monde du cirque.


Ce récit joue aussi abondamment sur le langage, ne serait-ce que par les jeux de mots dans le nom des personnages, comme « Boulafière », celle qui fait souffrir les hommes, « Cuttoli » la femme légère, « Painlevé » celle qui n’a rien à manger, « Tardiveau » le boucher, « Rageblanc » la crémière… 

Il déploie aussi une imagination hors du commun dans les anecdotes et les situation insolites : les mères n’y sont pas très maternelles – Emma déteste sa fille Léa, Léa déteste Rachel, Rachel abandonne sa fille Yvonne, Yvonne abandonne son fils Marceau-, les couples y sont inattendus –la mercière en couple avec l’homosexuel Amédée, Emma en couple avec l’homosexuel Loulou, Rachel en couple avec l’homosexuel Dédé. Mais ce qui m’a le plus impressionnée dans la lecture est l’art, porté au paroxysme, du récit enchâssé et de la mise en abyme.




Les Filles du calvaire ? Un roman élaboré avec maestria, dont les épisodes s’emboîtent en gigogne comme des « matriochkas » et qui au final, évoque pour moi, avec ses centaines de fils qui s’entrecroisent, une gigantesque mais subtile toile d’Arachné.


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dimanche 14 février 2016

Sevgililer günü.Juliette Drouet, Victor Hugo’nun esin perisi…

Ünlü Fransız ozanı Victor Hugo otuz yaşındayken Lucrèce Borgia piyesinde oynayan kadın oyuncu Juliette Drouet ile tanıştığında şiirleri ve tiyatro oyunlarıyla zaten tanınıyordu.
İlk görüşte kapıldıkları bu yıldırım aşkından elli yıl sürecek bir aşk ilişkisi doğacak, Victor Hugo hayatı boyunca en dokunaklı şiirlerini onun için yazacaktır.


Ruhum kalbini sevdi, diye yazar Juliette’e.
Aşkımın seni rahatsız etmemesi için her şeyi yapabilirim.

Sana gizlice bakıyorum. Sen beni görmediğin zaman sana gülümsüyorum, diye ona yanıt verir Juliette.




Çünkü Juliette bundan böyle tüm hayatını Victor Hugo’nun gölgesinde geçirecektir. Gerçekten de evli olan Hugo karısı ve beş çocuğu ile birlikte yaşamayı hep sürdürür. Juliette ise sayısız taşınmalar boyunca her zaman âşığının yerleştiği sokağın yakınındaki sokakta oturacaktır. Hugo’ya olan aşkı nedeniyle, onun isteği üzerine tiyatroyu bırakır. Artık çok gözaşıcı giysiler giymemeyi, o yanında olmadıkça evden çıkmamayı kabul eder. Ya Victor’u görmediği zamanlar Juliette günlerini nasıl geçirir? Büyük yazarın elyazmalarını kopya eder! Her zaman Hugo’nun ilk okuyucusu ve edebiyat danışmanı olur. Hugo’ya aşk mektupları yazar. Hem de günde birçok mektup. Ona toplam 20 000 mektup yazar!



Juliette Drouet birçok şeye dayanmak zorunda kalır. Özellikle âşığının sayısız sadakatsizliğine. Çünkü kadınlar sadece şiirlerini okuyarak Hugo’ya âşık olurlar ve ozanın hayatını doldurmayı sürdürürler. Hatta Hugo karısı’ila birlikte yaşadıkları eve gizli bir kapı yaptırır ve metreslerini o kapıdan içeri alır. Juliette birçok kez onu terk eder ama her seferinde Hugo arkasından gider ve ona şu tumturaklı yemini yineler: Bizim hayatlarımız sonsuza dek birbirine bağlı kalacak.

1851’de III.Napolyon erki eline alınca cumhuriyetçi ve imparatorun acımasız politikasına karşı olan Victor Hugo’nun hayatı tehlikededir. İmparatorun tüm polis gücü onun peşindedir. Juliette onu saklar, ona sahte pasaport sağlar ve sınırı geçmesine yardımcı olur. Hugo’nun tüm yapıtlarının bulunduğu ünlü el yazmaları bavulunu kurtaran da odur. Hugo ailesiyle beraber bir İngiliz-Normand adası olan Guernesey’de on dokuz yıl sürecek sürgünün yolunu tutar. Elbette Juliette de onun peşinden Atlantik okyanusunun içinde kaybolmuş bu küçük kara parçasına gider ve yine onunkine yakın bir sokağa yerleşir. İkinci imparatorluğun düşüşünden sonra ünlü âşığı sonunda Fransa’ya dönünce ancak o da Guernesey adasından ayrılır.

Victor Hugo ve Juliette hayatları boyunca “Yıldönümü kitabı” adını verdikleri kırmızı bir defter tutarlar, bu deftere her yıl kutlu gecenin yani 16 Şubat 1833 tarihindeki ilk aşk gecelerinin yıldönümünü anmak için bir metin yazarlar. O gün Victor Hugo’nun şöyle bir not yazdığını görüyoruz:

26 Şubat 1802’de dünyaya geldim, 16 Şubat 1833’de senin kollarında mutluluğa erdim. İlk tarih sadece hayata başlamak, ikinci ise aşka. Sevmek yaşamaktan daha fazla bir şey…






16 Şubat 1883’de Hugo şöyle yazıyor:  Elli yıl aşk, evliliklerin en güzeli.




O yıl Juliette ölür, Victor iki yıl daha yaşar. Juliette’in mezar taşına şunu yazdırır:

Artık sadece soğuk bir kül olduğumda
Yorgun gözlerim temelli kapandığında
Söyle kendine anım kalmışsa yüreğinde:
El ne derse desin onun aşkın var bende!







Article de Gisèle Durero-Koseoglu